Lutte des classes sanglante en Haïti

— Par Caroline Constant —
haiti_greveMeurtre à Pacot Arte, 22 h 55. Le réalisateur haïtien Raoul Peck expose avec une infinie précision les rapports 
de classes à l’œuvre dans Port-au-Prince ravagé par le séisme de 2010.

C’est une demeure bourgeoise. Avant le tremblement de terre du 12 janvier 2010, en Haïti, elle devait être majestueuse. Mais là, quelques jours après le drame, elle est lézardée de partout. Une femme (la chanteuse Ayo) creuse le sol à mains nues, en sanglotant. Son mari (Alex Descas) lui parle rudement, avec du mépris dans le regard et dans la voix : ce qu’elle tente de retrouver n’a aucune importance à ses yeux. Et pour cause : il s’agit du cadavre de l’enfant que ce couple de bourgeois haïtiens avait « adopté », de manière illégale. La femme pleure. Sur sa maison ruinée ? Son domestique parti ? Ou sur la mort du gamin, dont seule l’odeur de décomposition rappelle qu’il fut vivant ? Pour éviter la démolition de la maison, l’homme accepte de réaliser des travaux, et de louer un étage. C’est un jeune couple qui arrive : lui, Alex (Thibault Vinçon), passe pour un humanitaire. Au final, c’est un charognard, un sale type qui tente de profiter de la situation d’urgence pour se remplir les poches. Elle, c’est sa maîtresse (Lovely Kermonde Fifi). Cette fille pauvre porte un très joli prénom, Andrémise. Mais elle veut changer pour Jennifer. Elle veut surtout partir loin de « cette merde », comme elle dit. Loin de la pauvreté, du pays ravagé, de sa famille et des siens. Pour y parvenir, elle couche. Son corps est une arme de combat. Parfois dure, Andrémise est aussi la seule capable de compassion et d’un minimum d’écoute, dans cette maison ravagée par les regrets et les remords. L’arrivée de cette fille du peuple, pleine de vie et d’envies, déstabilise toute la maison. Elle va se mettre un à un les occupants dans la poche. Avant que, devant ses exigences, le réflexe de classe de chacun reprenne le dessus.

Cette fiction signée Raoul Peck est un huis clos étouffant. La maison ravagée est quasi coupée du monde réel, où des habitants déblaient les rues. Raoul Peck veut montrer à quel point les rapports dominants/dominés sont à l’œuvre, y compris dans une société qui s’écroule : les maîtres demeurent les maîtres, même s’ils sont temporellement à terre. Un individu seul se fait broyer face à eux. C’est terriblement noir. Et effroyablement efficace.

Jeudi, 25 Juin, 2015
L’Humanité