— Ali Babar Kenjah —
Je n’ai pas choisi Marcelin Nadeau contre Serge Letchimy, ni contre quiconque d’autre. Je ne pratique pas le culte de la personnalité. Je n’ai que respect, amitié et considération pour ces deux soldats de la cause Martiniquaise. Je n’ai aucune raison d’opposer ces deux hommes brillants, totalement engagés et dévoués à la cause de leur peuple. De même que je tiens dans la plus haute estime Garcin Malsa et Jean-Philippe Nilor, ainsi que tous ceux, toutes celles qui honorent le mandat qui leur a été confié. Certes, je partage avec Serge Letchimy une histoire personnelle qui doit beaucoup à l’extraordinaire lucidité politique d’Aimé Césaire. Mais l’Histoire ne regarde pas dans le rétroviseur et si le génie poétique de Césaire est inscrit à jamais au plus haut du patrimoine de l’humanité, son projet politique porte la marque de son temps : celui où il lui a fallu, contre tous les modèles importés, inventer un forme originale de décolonisation, tracer un chemin nôtre vers la Responsabilité et la Dignité. La mise en place de la CTM incarne la vision césairienne d’une forme d’autonomie qui n’absolve pas la France de ses responsabilités historiques vis-à-vis des descendants d’Africains déportés et esclavagisés sur notre terre. « La dépendance martiniquaise, voulue, calculée, raisonnée autant que sentimentale ne sera ni dé-chéance ni sous-chéance » écrivait-il dès 1944. L’instauration de la CTM, avec toutes ses limites, est l’horizon du projet politique césairien. A partir du 13 décembre 2015, nous entrons réellement dans le post-césairisme. Avec l’impérieuse nécessité de nous armer d’une vision renouvelée pour le demi-siècle à venir, de nous accorder au pays avec la vitale inspiration d’un souffle nouveau pour les générations qui ne connaîtront du passé que la véritable nature de nos choix : des plus égoïstes aux plus lumineux. L’heure a sonné de cette « utopie refondatrice » que le Leader en-allé nous avait réclamé.
Kidonk, j’ai choisi l’écologie contre la centralisation. J’ai choisi un projet citoyen contre une vision gestionnaire. J’ai choisi la culture contre le croisiérisme ; le partage des réalités (aussi pénibles soient-elles) contre le mirage des statistiques ; le covoiturage encouragé contre le TCSP ; la sanctuarisation des terres contre la Plantation mortifère ; la Caraïbe des peuples contre celle des Etats. J’ai choisi l’espoir de jours meilleurs contre la désespérance des jours semblables. J’ai choisi une certaine clarté contre les amalgames incertains et le rassemblement volontariste du peuple contre le regroupement opportuniste des élites. J’ai choisi la qualité contre la quantité. Enfin, et surtout, j’ai choisi l’humain contre toute logique d’appareil. Car ce n’est pas d’homme providentiel dont le pays a besoin, pas plus que de chance: « La chance de la Martinique, c’est le travail des Martiniquais… » Voilà pourquoi j’ai choisi de joindre ma voix au chœur sincère de ceux qui défendent notre terre, qui appellent au sursaut plutôt que de chercher le pouvoir. Car, par définition, seuls les impuissants sont en quête de pouvoir. Voilà pourquoi, aux côtés de Marcelin Nadeau et de tant d’autres, je nourris cette ambition que, réconciliés et en paix avec nos faiblesses, nous puissions regarder le siècle en face et lui lancer avec fierté ce cri du koudmen bâtisseur : Nou pèp-la !
Ali Babar Kenjah