— Par Jean-Marie Nol, économiste —
En dépit d’arguments sanitaires puissants, une partie minoritaire de la population martiniquaise se montre rétive à l’autorité de la République française . La spécificité de la crise identitaire en Martinique réveille de nouveaux « rebelles » aux recommandations du préfet , pourtant destinées à sauver des vies. C’est là un nouveau signe de l’individualisation croissante de la société Antillaise. Le paradoxe est que la liberté que réclament les organisateurs et participants des récents défilés et autres « déboulé » carnavalesque est en fait celle de contaminer les autres, en toute irresponsabilité. Il ne s’agit pas d’incivilités, comme on en voit souvent, mais d’un défi à l’autorité. Toutefois, certaines spécificités apparaissent dans ce mouvement de rejet. D’ailleurs, le profil des réfractaires ne recoupe pas forcément celui d’autres « rebelles » en matière de dénonciation du scandale du chlordécone. Il y a, dans cette attitude, une façon de désobéir à un gouvernement qu’ils n’approuvent pas ou d’exprimer un rapport de défiance plus large vis-à-vis de l’État et de l’autorité en général.
Que signifie ce refus de l’autorité ? Comment le comprendre ? Ces réfractaires ne représentent qu’une minorité, mais s’estiment soutenu par la majorité des élus Martiniquais. Cela n’a donc rien d’anecdotique , car ce type d’attitude non condamné par la population pourrait aller jusqu’à déstabiliser le socle du vivre ensemble au sein de la démocratie. Car une autorité qui n’obtient pas de résultats est une autorité qui perd sa légitimité. Et c’est le cas actuellement de la France en Martinique. Mais cette crise est ancienne. Elle trouve ses origines dans le mot d’ordre politique de l’autonomie décrété par aimé Cesaire : dès ce moment, la promesse politique se heurte à la carence du système départemental . De fait, les martiniquais ont augmenté l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes. J’y vois le produit d’un désengagement civique, qui est l’un des marqueurs de l’utopie identitaire contemporaine . On s’éloigne de toutes les institutions de la République française et l’on promène un regard très critique sur le passé. L’enjeu est de taille. Car se joue aussi, derrière ces réactions de rejet de l’autorité de la République, une crainte réelle de l’avenir. À travers le refus de l’autorité, il y a aussi le refus d’un futur redouté, de voir la crise transformer radicalement la société, avec comme conséquence la peur de perdre une part d’identité et de liberté ; et où les rapports sociaux et intimes seraient bouleversés pour longtemps. Cette défiance se manifeste également par la montée des contestations sur la Toile : Internet est devenu une gigantesque machine à critiquer les hommes politiques et à débattre de la méfiance envers les représentants de l’Etat. D’ailleurs, certains citoyens Martiniquais veulent prendre leur destin en main et n’obéissent plus qu’à eux-mêmes, persuadés que toutes les autorités sont là pour les rouler. Nous avons donc là le reflet d’une société martiniquaise qui, n’attendant plus rien de l’autorité, assume son dérèglement sans culpabilité et multiplie les gestes de désobéissance civile. Conclusion : l’image d’un pays en rébellion, d’une communauté de citoyens quasi délinquante à certains égards, et adepte d’un système D extrêmement amplifié. Cette désobéissance tire ses racines de notre identité éclatée, mais aussi d’un rapport particulier à l’autorité qui découle de la période esclavagiste et coloniale.
La crise institutionnelle est bien présente en Martinique . Les élus peuvent se tromper quand ils gèrent les affaires à la petite semaine et semblent renvoyer la question institutionnelle aux calandres grecques, et il faut donc toujours avoir du discernement et un esprit critique. La philosophie est là pour nous y aider à l’aide de la maieutique qui est une méthode suscitant la mise en forme des pensées confuses, par le dialogue (Socrate, dans les œuvres de Platon). Ne jamais suivre aveuglément ce que nous dit la doxa politique du moment parce qu’elle peut complètement évoluer. C’est là en ce sens qu’il faut remettre sur le métier la question institutionnelle ou statutaire et en finir avec le débat sur les articles 73 et 74 dès l’année 2022. La solution serait qu’un consensus s’instaure autour d’une évolution plus pragmatique et qui ferait la part belle à un statut qui prévoit la fusion des articles 73 et 74, à tout le moins un socle commun qui aurait l’avantage de favoriser une meilleure compréhension des institutions par la population locale. L’ enjeu est de proposer un nouveau référendum dans les meilleurs délais incluant aussi la question de l’indépendance pour lever cette hypothèque et enfin purger le malaise identitaire de la Martinique et également de la Guadeloupe.
« La crise consiste dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître » (Antonio Gramsci)
En cas d’immobilisme, nous prenons le risque d’entrer désormais en Martinique dans le règne de la démocratie déceptive. Et là réside le véritable danger d’un futur chaos économique et social !
Jean-Marie Nol économiste