—Par Christian Antourel —
CHEMINS DE LIBERTE
Clarisse Bagoé Dubosq, qui partage sa vie entre la Martinique, Paris et la Provence, est à la fois écrivain, cinéaste et peintre. Lucie Solitaire est son second roman.
Dès les premières pages ça nous dit quelque chose. Comme une musique lointaine qui contient nos racines nous arrive auréolée d’un soleil mélancolique. Clarisse Bagoé Dubosq écrit un roman croissant dont la vérité veut éclater à chaque ligne. Elle donne une version originale d’un standard récurrent aux Antilles, dans ces années où elle plante le décor : rester là ou partir ? s’établir ou revenir ? être ou ne pas être ? La prose authentique de l’auteure, marquée d’une élégance naturelle est rendue vivante, concrète, et bat au rythme du temps maitrisé qui reflète l’époque et le lieu, écrits de profondes empreintes sociales⋅ La recréation de l’expérience étant la tâche première de l’auteure, elle écrit de manière vraie, qui signifie d’écrire de manière sincère La sincérité n’est pas tant une question de morale ici, qu’un aspect technique du style. Pas de sincérité pas de style. Cette fidélité à l’expérience « comme l’histoire s’est réellement passée » quand même, tout ceci n’est que pur théâtre et que rien ne peut-être considéré comme absolument vrai, puisque Clarisse elle même ne peut en attester. Il apparait que hors ce fonctionnement, sa personnalité s’en trouverait bloquée et ne pourrait s’exprimer librement. La prose personnelle est une prose sincère. Elle libère l’auteure. Chronologiquement, cette aventure va d’orgueil et préjugés à haine et victoire.
Comme un voyage initiatique
Les évènements surgissent comme des jets d’eau glacée. On tourne les pages d’une odyssée, et l’avenir se dessine en pointillés. La romancière semble jouer son histoire dans une approche cinématographique et enchaine les plans du quotidien de ses personnages. D’abord le travail d’écriture s’est fait sans filet, sans souci de cohérence, puis Lucie Solitaire trouve son ton au fil de la plume de l’auteure. Lucie, comme Simon sont des personnages fictifs, deux créatures littéraires. On dirait qu’à ses héros Clarisse Bagoé Dubosq a confié une tâche : celle d’être confrontés au racisme ordinaire et à la nécessité de survie. Et aussi de regarder l’histoire comme un voyage initiatique. Mais quel est en réalité le monde extérieur que regarde Clarisse ? Elle regarde la vie en frémissant. Elle ne prétend pas déchiffrer le réel. Mais joue de l’art de donner vie au texte Son regard ne sert qu’à lui donner des émotions, car son monde est l’émotion. Elle veut attribuer à l’univers opaque qui nous entoure l’émoi qu’elle ressent dans son intériorité. Ses personnages auraient pu se contenter de mener une vie tranquille dans leur Martinique natale, sans se poser trop de questions, mais ils n’ont pas de certitude et trouvent que l’âme humaine manque de tenue. Explorant comme les personnages, toutes les nuances de l’ombre elle adapte le style à l’action par la force de ses mots assemblés. Enfin, Clarisse Bagoé dont l’ambition est de peindre au plus juste l’être humain et la société explore toute la complexité et l’ambigüité des protagonistes et accroit les qualités picturales du langage.
En signature à la Librairie Antillaise Perrinon
En octobre 2014
Christian Antourel.
Texte paru dans France Antilles le Magazine