— Par Yves-Léopold Monthieux —
Je viens de lire avec surprise les bons mots d’un important élu du MIM à l’égard de Luc Laventure, son ancien camarade de classe qui aurait été, selon lui, le premier journaliste martiniquais de la radio d’Etat à donner la parole aux indépendantistes. Cette reconnaissance inattendue est d’autant plus remarquable que l’intéressé n’avait pas vraiment les faveurs de la jeunesse politique d’où vient l’élu.
Lorsqu’on considère l’avalanche de louanges sous lesquelles croule la mémoire du journaliste, on ne peut s’empêcher de se rappeler dans quelles conditions il avait dû rejoindre la métropole, contraint et forcé. Il n’était pas couvert par le statut de la fonction publique et ne s’appelait pas Armand Nicolas ou Walter Guitteaud, deux fonctionnaires d’Etat qui avaient refusé leur mutation en métropole mais qui avaient pu vivre grâce aux cotisations des militants du parti communiste martiniquais et de la CGTM, dont ils étaient les secrétaires généraux respectifs.
Victime de la petite politique locale (nous ne sommes pas sûrs d’en être sortis), Luc Laventure avait dû quitter son pays par la décision d’un ministre qui s’était plié aux quatre volontés d’un parti politique. L’un des pères fondateurs de ce parti avait demandé au ministre de lui accorder une seule satisfaction : « je ne veux plus voir Luc Laventure à la télé », avait-il dit. Ce qui fut fait. Dans le même registre, quelques mois plus tard, le maire du Marin sera suspendu par décision ministérielle (certains diraient « coloniale ») à raison d’une obscure affaire judiciaire dont il sera acquitté. Dans l’intervalle, déchu aux yeux de la population, il avait perdu sa mairie au profit du candidat et du parti chers au ministre. Itou ce directeur des Douanes qui sera viré parce qu’il aura appliqué au fils d’un ancien député qui quittait le département une transaction amiable prévue par la loi sur les infractions douanières. Mise dans l’embarras, la Direction parisienne avait eu à régler la réaffectation en métropole du haut fonctionnaire qui n’avait commis aucune faute de service.
Ces méthodes ont été méticuleusement passées sous silence. Elles ont eu cours au lendemain de mai 1981, période réputée bénie pour la démocratie en Martinique, sur laquelle ne se sont pas penché les adeptes, universitaires ou non, de la science politique. On peut comprendre que celui qui représente en ce moment le parti et la Martinique ait salué la mort de Luc Laventure sans donner dans le discours dithyrambique qui démentirait le vrai rapport de son parti au journaliste qui nous quitte.
Orgueilleux, Luc Laventure avait accusé le coup. Mais il avait eu l’élégance de quitter la Martinique sans se lamenter et l’audace d’affronter sans timidité ses nouveaux défis. A la manière des judokas, il avait su utiliser sa mésaventure pour s’ouvrir franchement à de nouveaux horizons. Au moyen de son énergie et de son seul talent, il s’est élevé au plus haut rang de la profession, son ouverture aux autres territoires de l’Outre-Mer lui avait permis de mieux connaître et de servir son pays. Mieux peut-être qu’en restant en Martinique.
Fort-de-France, le 8 mars 2022
Yves-Léopold Monthieux