Lauréate en 2017 du prestigieux Turner Prize, l’œuvre de Lubaina Himid questionne l’identité de la diaspora africaine et son invisibilité dans le champ social, politique et artistique. Dans une esthétique séduisante et colorée, où affleure constamment son intérêt pour le théâtre et la mise en scène, l’artiste explore la question de l’esclavage, du colonialisme et de la représentation des africains dans l’histoire de la peinture européenne.
Née en 1954 en Tanzanie, d’un père comorien et d’une mère anglaise, installée en Angleterre depuis l’âge de six ans, Lubaina Himid, artiste, commissaire d’exposition et théoricienne, est une figure du Black Art Mouvement, particulièrement actif dans les années 1980 en Angleterre. Historiquement, le développement du Black Art Mouvement est étroitement lié aux lois anti-immigration établies par Margaret Thatcher, qui ont suscité de nombreuses réponses artistiques et sociales passant par des révoltes populaires dans les banlieues des métropoles anglaises. À cette époque, Lubaina Himid accompagne et promeut le travail d’artistes telles que Sonia Boyce ou Claudette Johnson et organise des expositions qui feront date comme Five Black Women (1983, Africa Centre, Londres), Unrecorded Truths (1986, Elbow Room, Londres) mais également The Thin Black Line (1985, ICA Londres), qui fera l’objet d’une réédition à la Tate Britain en 2011.
Dans son travail, l’artiste utilise avec virtuosité l’art de la réappropriation de la peinture européenne qu’elle combine avec certains aspects de l’histoire de l’Afrique pour questionner le rôle du pouvoir d’évocation de l’image. Dans l’oeuvre Naming the Money (2004), présentée en partie au Mrac, le visiteur pénètre dans une forêt d’une centaine de figures en contreplaqué peintes représentant les ouvriers, artisans et serviteurs présents dans la peinture occidentale et à qui l’artiste redonne une individualité, une histoire et une dignité. Ce principe de figures peintes dans l’espace, un système très fréquemment utilisé dans les décors de théâtre, permet à Lubaina Himid de sortir la peinture du cadre et d’introduire un rapport physique avec le spectateur de l’ordre de l’empathie. Qu’elle travaille à partir de planches du quotidien anglais The Guardian, ou directement sur de la vaisselle en porcelaine, Himid soumet la peinture aux matériaux de la vie quotidienne afin de mieux créer ce lien entre l’histoire européenne et celle de l’Afrique, et questionne la possibilité d’un partage des cultures.
Dans une de ses œuvres iconiques, A Fashionable Marriage (1986), l’artiste reprend des motifs de la célèbre peinture de William Hogarth, Marriage A-la-Mode (1743), série de six estampes qui documente, à la manière d’un roman graphique, les étapes d’un mariage bourgeois du XVIIe siècle, entre un noble désargenté et une roturière fille de planteurs de tabac. Dans une installation proche de la mise en scène théâtrale, composée de figures en contreplaqué peintes, de dessins et collages, l’artiste réutilise les personnages et motifs de la série de Hogarth auxquels elle mêle des personnages contemporains, tels que Margaret Thatcher et Ronald Reagan, pour livrer une critique à peine voilée de la politique sous le règne de Thatcher.
Son exposition au Mrac, Gifts to Kings, propose un ensemble de pièces dont la plus récente, Le Rodeur, date de 2016, et la plus historique, Freedom and Change, date de 1984. Cette exposition parcourt ainsi plus de trente années du travail de l’artiste et souligne de ce fait l’extrême cohérence de sa pratique. Une pratique qui s’est affirmée et développée bien longtemps dans une forme d’invisibilité, tout au moins dans son rapport au marché de l’art, mais qui bénéficie en Angleterre depuis bien longtemps d’une réelle reconnaissance auprès de ses pairs, grâce notamment à son engagement auprès d’une jeune génération d’artistes et à sa position à l’Université du Lancashire où elle développe un axe de recherche intitulé « Making Histories Visible » [Rendre les Histoires Visibles].
Le titre de son exposition au Mrac, Gifts to Kings, est le titre original de l’installation magistrale Naming The Money. Le cadeau dont il est question dans ce titre se réfère à la fois au contingent d’esclaves africains que le roi d’Espagne a offert au roi de France, mais également au cadeau que représente l’ouverture d’un dialogue avec le public, façon pour l’artiste de revendiquer un débat apaisé sur ces questions.