— Par Selim Lander —
En mettant en scène les (més)aventures d’un couple du même sexe, le réalisateur américain Ira Sachs n’en est pas à son coup d’essai. Lui-même homosexuel, on peut croire qu’il sait de quoi il parle. Après Delta (1996) qui fut son premier film et Keep the Lights (2012), voici donc Love is Strange, passé par le festival de Deauville où il a reçu un réel soutien de la critique.
Soit donc deux hommes d’âge mûr, très mûr pour Ben (John Lithgow), moins pour George (Alfred Molina) qui décident de convoler en justes noces, après quatre décennies de vie commune et heureuse – sinon sans nuage. Erreur (presque) fatale parce que George est professeur de musique dans un lycée catholique, une religion qui ne badine pas avec l’amour, avec ce genre d’amour en particulier. Exit donc George de son lycée et ce sans indemnité, car il a commis une faute lourde en enfreignant la charte de moralité de l’enseignement chrétien[1]. Or c’était lui, George, qui faisait bouillir la marmite puisque Ben, lui aussi artiste, n’a pas de revenu bien défini : il peint et passablement mais sa peinture est d’une autre époque et ne fait guère recette. Désormais privés de ressources suffisantes pour continuer à payer les traites de leur appartement, les deux nouveaux mariés doivent vider les lieux, et, faute de trouver une location dans leurs prix, se séparer pour aller vivre chacun chez un membre de sa famille. Georges chez un neveu flic gay qui vit en couple avec un autre flic ; Ben chez un neveu cinéaste marié à une romancière.
On ne racontera pas davantage l’histoire mais l’on se doute que la cohabitation chez des parents plus jeunes mais déjà « installés », avec des habitudes qui ne sont pas celles de leurs vieux oncles, pour aimés qu’ils soient, n’ira pas sans soulever des difficultés. Le film tend alors à se focaliser sur la famille de Ben, avec une attention particulière envers son petit neveu, Joey, en pleine crise d’adolescence et qui semble avoir lui aussi des tendances homosexuelles, sans vouloir l’admettre.
On a donc affaire à une comédie de mœurs qui séduit d’abord en raison de la performance des deux acteurs principaux, émouvants de bout en bout : deux vieux amoureux qui ne sauraient se passer l’un de l’autre, un sentiment qui ressemble à celui dépeint par Haeneke dans Amour – en moins dramatique, certes – fait d’attachement, de tendresse et d’attention mutuelle.
Les scènes attendues sont à la hauteur de notre attente, comme la fête qui suit le mariage, et d’autres scènes que l’on n’attendait pas, comme celle où Joey pleure, dans un escalier, son grand-oncle décédé et peut-être aussi son amour impossible pour un camarade de classe.
Et puis il y a New York, filmé toujours par beau temps, pendant les intersaisons où l’atmosphère est la plus pure, les couleurs les plus belles : un New York provincial avec des rues sans voitures, ou presque, des appartements cachés dans la verdure, des toits-terrasses ayant vue sur des immeubles d’habitation anciens, loin des gratte-ciels de Manhattan. Que la dernière image où l’on voit Joey pousser sa planche à roulette le long d’une rue calme vers le soleil couchant soit convenue, on n’en disconviendra pas ; elle n’est pas moins bien jolie.
L’EPCC Atrium à Madiana, les 26 mars et 1er avril 2015.
[1] Cette sanction d’un autre âge n’est rien cependant à côté de celle prévue dans la Bible : « Si un homme couche avec un homme comme avec une femme, ils commettent tous deux un acte abominable. Ils seront punis de mort, leur sang retombera sur eux » (Lévit. 20-13).