— Par Stéphane Witkowski —
Les réformes récentes offrent des opportunités pour les entreprises françaises à Cuba, qui sont d’ailleurs déjà présentes dans un certain nombre de secteurs clés.
Matthias Fekl, secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur, de la Promotion du tourisme et des Français de l’étranger, s’est rendu à Cuba du 5 au 8 mars. Après la visite de Laurent Fabius en avril 2014, première visite d’un ministre des Affaires étrangères depuis plus de trente ans, ce déplacement a permis de renforcer la coopération francocubaine, notamment dans la perspective de la visite du président de la République à La Havane le 11 mai prochain, la première d’un chef d’Etat français dans l’île. Accompagné par Bruno Bézard, directeur général du Trésor (au titre de président du Club de Paris chargé de la renégociation de la dette cubaine), de Stéphane Mousset, chef du bureau Amériques de la direction générale du Trésor et d’une délégation d’entreprises, Matthias Fekl s’est entretenu avec les ministres cubains du Commerce extérieur, des Relations extérieures, du vice-ministre du Tourisme et avec le président de la Banque nationale. Il a parrainé la signature d’un accord de coopération entre le centre de coopération internationale en recherche agronomique (Cirad) et le ministère cubain de l’Agriculture et a visité la zone de développement du port de Mariel. Il a enfin répondu favorablement à une demande du gouvernement cubain, et de nos entreprises, en proposant la prorogation d’une ligne d’assurance-crédit court-terme de la Coface couvrant les exportations françaises. Cette proposition est aujourd’hui à l’examen des autorités.
« Cette visite annonce les prémisses d’un nouveau démarrage du commerce extérieur entre la France et Cuba » affirme Eric Peyre, président de la section Cuba des conseillers du Commerce extérieur de la France, également directeur général d’Accor à Cuba.
Face à une concurrence étrangère croissante, aiguisée par le dégel cubano-américain – même si davantage d’entreprises françaises pourraient prospecter plus activement le marché cubain – il existe un « socle solide » de la présence économique française depuis plusieurs années. Un tournant de cette prise de conscience est intervenu dans les années 1993-1994, en pleine « période spéciale en temps de paix » où nos entreprises se sont intéressées à Cuba, via le patronat français, au pire moment de la situation économique du pays, consécutive à l’effondrement de l’Union soviétique. Certes, la situation était paradoxale mais l’analyse des entreprises françaises reposait schématiquement sur trois arguments principaux :
D’abord, les atouts de Cuba sont insuffisamment connus de nos entreprises à part quelques « pionnières » qui ont été visionnaires : situation géopolitique, atouts naturels, attraction touristique, ressources minières comme le cobalt, le nickel (troisièmes réserves mondiales) et le pétrole.
Avec plus de 7 millions de tonnes, le marché pétrolier de Cuba est le plus important de la région Caraïbes – Amérique centrale. Il représente un potentiel de croissance important pour Total qui a été une des premières compagnies internationales à réaliser à partir de 1992 des campagnes d’exploration offshore au large de Varadero. Aujourd’hui les activités du groupe à Cuba se concentrent dans le domaine du trading et du Marketing & Services.
« Pour répondre aux objectifs de croissance et d’évolution que s’est fixé le pays, les besoins technologiques et de financement sont importants, en particulier dans le secteur de l’aval pétrolier » précise Charles de Montlivault, le représentant de Total à Cuba.
Le capital humain et le niveau de formation des Cubains sont un autre atout essentiel. L’indice de développement humain (IDH) est un facteur qui peut être pris en considération dans une stratégie d’investissement d’une entreprise à l’étranger. Près de 85 % du Pib est constitué de services. Cuba a donc vocation à devenir, à terme, une plateforme exportatrice de services à haute valeur ajoutée.
« Cuba est un pays très exigeant mais qui respecte le savoir-faire. C’est pourquoi, les PME françaises disposant de compétences précises ont un avenir prometteur à Cuba » explique Pierre-Georges Hervé, président de la TPE Industrie Bois.
L’atout de l’embargo
Le deuxième élément de l’analyse porte sur les effets de l’embargo nord-américain qui perdure malgré le rapprochement diplomatique entre les deux pays. Distinguons au préalable le « rétablissement » des relations diplomatiques (qui passe par plusieurs conditions dont l’ouverture d’une ambassade des Etats-Unis à La Havane et son corollaire à Washington) et une « normalisation » des relations entre les deux pays. La levée de l’embargo – qui requiert l’approbation du Congrès américain – serait l’ultime étape de ce processus.
A première vue, l’argument devrait être évident et simple à comprendre : tant que l’embargo nord-américain interdisant aux entreprises américaines de commercialiser ou d’investir dans l’île, il devrait constituer une chance à saisir pour les entreprises françaises et prospecter ce marché. Beaucoup d’industriels français se plaignent – à juste titre – de la concurrence nord-américaine toujours vive dans les autres pays de la région.
Les atouts de Cuba, situation géopolitique, atouts naturels, ressources minières, sont insuffisamment connus de nos entreprises
« La situation cubaine s’apparente à celle des « Trente glorieuses »: il convient de ne pas laisser passer la chance que représente l’embargo américain pour les PME françaises. En effet, les PME américaines ne peuvent s’installer à Cuba, alors que le marché est stable et progressera continuellement. Sans l’embargo américain, nous ne pourrions intégrer ce marché. Notre entreprise croîtra grâce à Cuba » confirme Pierre-Georges Hervé.
Mais pour d’autres entreprises et dans la pratique quotidienne de la vie des affaires, l’embargo pèse pour les entreprises étrangères comportant sanctions et pénalités financières avec la mise en vigueur de lois extraterritoriales (lois Helms-Burton ou Torricelli). Régulièrement condamné par la communauté internationale à l’occasion du vote de l’assemblée générale de l’ONU – pour la vingt-troisième année consécutive (le 28 octobre 2014) –, l’embargo fait l’unanimité contre lui, à deux pays près. Le prestigieux hebdomadaire britannique, The Economist, qui défend une vision libérale classique l’a condamné lors d’un récent éditorial. Quant au Financial Times, il consacre un numéro spécial du 9 avril 2015 sur le thème Investing in Cuba ! C’eût été inimaginable il y a seulement dix ans !
Quoi qu’on en dise, les pressions nordaméricaines sont réelles sur les entreprises et les banques françaises (Cf. affaire BNP Paribas), à commencer par les plus grands groupes (qu’ils aient des intérêts aux Etats-Unis ou non). Les effets concrets de l’embargo sont évidents et les préjudices importants pour Cuba. Les coûts de prospection pour une entreprise sont plus importants qu’ailleurs (recours à des avocats, vérification des droits de propriété à Cuba et aux Etats-Unis, consultation de l’Ofac, registres et des cadastres remontant à l’époque d’avant la Révolution de 1959, financements complexes à trouver). Perrine Buhler, directrice générale de Devexport, explique « que l’aspect industriel est essentiel pour s’enraciner dans un pays, puisque la technologie et l’origine des équipements impliquent la livraison de nouveaux équipements et de pièces de remplacement. Or, le problème le plus prégnant à Cuba réside dans l’embargo américain qui contraint les relations commerciales depuis plus de cinquante ans ».
Pour mémoire, Cuba n’est membre d’aucune des principales institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, Bid) et n’a pas accès à des financements longs, en dehors de quelques cas comme des crédits d’aide vénézuéliens, de la BNDES du Brésil (port de Mariel) – dont peuvent bénéficier nos filiales – et de quelques crédits chinois. Malgré ces difficultés, miser sur le devenir de Cuba est une stratégie porteuse et intelligente, pour toute entreprise dès lors qu’elle est suffisamment aguerrie à l’export. « L’Europe est insuffisamment active à Cuba et les industriels attendent passivement » commente un homme d’affaires français. Les latino-Américains se montrent plus dynamiques. Le groupe brésilien Odebrecht, par exemple, apporte des financements et propose ses services dans le domaine des travaux publics et de l’ingénierie. De même, les Vénézuéliens et les Chinois sont très présents même si la conjoncture macroéconomique au Venezuela freine nettement la politique de coopération de PetroCaribe.
La France prend sa part : elle a mis en place dès 1991, lorsque la chute de l’URSS plaçait Cuba en grande difficulté, une ligne d’assurance-crédit garantie par la Coface, couvrant les exportations jusqu’à deux ans. Mais, il est vrai aussi que les banques françaises ne sont pas en première ligne pour les prendre en charge et beaucoup d’entreprises sont contraintes de s’adresser à des banques étrangères ou à financer leurs opérations sur fonds propres…
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PS : erratum : dans l’article (p. 15)/ Le supplément « Investing in Cuba » qui était initialement prévu dans le « Financial Times » de ce 9 avril a été reporté au 16 juin.
Source : http://cubacoop.org/spip.php?page=article&id_article=2132