— par Janine Bailly —
Au 14°N 61°W, espace qui a pris ses quartiers dans une aile du bâtiment Camille Darsières à Fort-de-France, et qui devient à l’occasion « musée miniature », avait lieu ce vendredi quatorze avril le vernissage d’une étrange exposition, « Point de chute », de la jeune et talentueuse artiste martiniquaise, Louisa Marajo. Serait-ce à dire que, partagée entre la France et son île natale, elle-même est à la recherche de son « point de chute ? ».
Comme un écho à la rétrospective « Le Geste et la Matière », venue de Beaubourg à l’habitation Clément, il nous est proposé une œuvre singulière et labyrinthique, qui ne se donne pas au premier coup d’œil, qui enferme ses mystères et demande, pour être ressentie, que l’on s’y immerge et se laisse bousculer dans ses certitudes. Une œuvre éminemment contemporaine, qui s’inscrit dans le fil des jours et l’évolution des arts. Ici pas de couleurs, dont l’artiste pour cette création aurait, dit-elle, craint la « joliesse », mais une déclinaison à l’infini des blancs, des gris et des noirs, sur des matériaux composites, toile, bois, papier, papier bristol, aluminium brossé…
Entre accrochages et installations en conformité avec le lieu, le regard cherche et trouve le « point de chute », morceau de bois peint tombé au pied de cette série de petits tableaux figurant, au long d’une planche — rampe adjointe au mur — la descente d’un escalier (« Détails dans l’Escalier »). Il n’est pas innocent que cette installation soit la première à saisir le visiteur, au sortir de la volée de marches qui mène à l’étage où se tient l’exposition. Puis viendra la toile pliée-dépliée-repliée, tombée, torturée sur le squelette d’un tréteau qui occupe magistralement le centre d’une pièce (« Tréteau de toile 2 ») ; contre le mur, peint et à demi couvert, un autre tréteau (« Tréteau de toile 1 »), celui-ci scié, démantibulé, démembré, sous forme de morceau donc, et sa moitié vierge, appuyée solitaire, orpheline incongrue dans l’angle de la pièce voisine ; au ras du sol, d’autres créations qui obligeront à baisser les yeux…
Il est question, dans cette autre figuration nommée « Instants d’atelier », qui occupe tout un angle de la pièce, et où l’on trouve les attributs de l’artiste — pinceau ou plus surprenant marteau —, il est question de bouillonnement créatif, de genèse et de surgissement, en une sorte de brouillon, dans ce désordre des choses et du monde qu’il nous faut reconnaître et accepter, sans pour autant nous y soumettre. Aussi le tréteau, figure récurrente de l’exposition, est-il cette fois renversé tête en bas, dans un savant fouillis de toiles, de fragments, de représentations diverses, dévalant en cascade la pente qui vers le bas fait chuter.
Cependant qu’en d’autres lieux, sur un « Mur de Planches » par exemple, l’œil s’attache à suivre les lignes parallèles, horizontales courtes et longues verticales, en limites des surfaces noires et grises. Lignes qui ailleurs se chevauchent, ou qui se coupent et se poursuivent, lignes dans la recherche de leur point de fuite. Lignes qui s’échappent et se retrouvent enfin, d’un cadre à l’autre, dans ce diptyque reprenant le thème (« Tréteaux, dyptique »), et dont un des panneaux est un châssis de bois à demi laissé au naturel, le bois s’avérant alors être le seul porteur d’une couleur reconquise.
Au cœur du dispositif, l’installation « Chute », en arc archipélique (techniques mixtes sur bois, dimension variable), où tombe vers le sol, sur la surface du mur, un fragment toujours le même et toujours autre, qui modifie sa forme, brisant le rectangle cartésien initial en figures géométriques évolutives.
Mais à la fin du parcours, comme un retour au calme qui succèderait à une intrusion dans ce chaos organisé, la sérénité bienvenue de ces trois œuvres, de façon toute traditionnelle encadrées et suspendues au mur. Trois objets fétiches, comme magnifiés, sur fond blanc se détachant, tranquillement posés là : palette sombre où se dessinent encore des vagues de matière sculptées par la lumière, indispensable marteau, pinceau qui dresse vers la bordure supérieure du cadre sa fière chevelure, en appel du geste constructif.
L’exposition se tiendra du 15 avril au 27 mai, et je ne doute pas qu’il me viendra le désir de m’y rendre à nouveau, pour la regarder et pour l’interroger encore, dans le calme et le silence retrouvés de ces volumes blancs qui constituent l’espace nommé 14°N 61°W !
Janine Bailly, Fort-de-France, le 15 avril 2017
Photos Paul Chéneau