La domination d’un Occident raciste, à l’intérieur de ses frontières et au-delà, n’a pu que renforcer les préjugés à l’encontre des personnes définies comme Noires. Parce qu’il en est ainsi, il est illusoire de se dire Blanc par simple convention, sans le moindre rapport avec l’histoire qui créa cette catégorie. La blanchité s’est élaborée dans le cadre de la plantation pour sévir ensuite dans l’espace colonial sur tous les continents et se consolider au sein des sociétés multiethniques de l’Euramérique contemporaine. Elle est une manière d’approcher l’autre qui se caractérise par le crime.
Léonora Miano se livre à une analyse aussi fine qu’implacable de ce « problème blanc », depuis les traites négrières et la colonisation jusqu’au présent. Car, sans prise de conscience de ce qu’est la blanchité, il est impossible de transformer ce qui s’est transmis de génération en génération, à la fois comme un patrimoine et un secret de famille, certes gênants mais qu’il nous faut regarder en face. Il se passera du temps pour vider la race de toute signification et guérir le monde. Cela ne signifie pas qu’il faille baisser les bras. C’est en ayant conscience de l’ampleur de la tâche que l’on pourra s’y atteler.
Romancière, dramaturge et essayiste, Léonora Miano est l’autrice d’une vingtaine d’ouvrages. Elle a reçu le prix Goncourt des lycéens en 2006 pour Contours du jour qui vient (Plon), le prix Seligmann contre le racisme en 2012 pour Écrits pour la parole (L’Arche), le prix Femina et le Grand prix du roman métis en 2013 pour La Saison de l’ombre (Grasset).
« L’Opposé de la blancheur » : portrait d’un monde structuré par le racisme
L’opposé de la blancheur dont il est question dans le nouvel essai de la femme de lettres franco-camerounaise Léonora Miano est une noirceur qui ne dit pas son nom, une chose si laide qu’elle a inventé un système de discrimination et de domination particulier. Conceptualisée par l’universitaire Judith Ezekiel, la « blanchité » désigne la politique de racialisation mise en place, à partir de la fin du XVe siècle, par l’Europe de l’Ouest engagée dans un processus de conquête du monde. Divisant le monde entre blancs et noirs, l’Occident moderne s’est ainsi construit par le commerce triangulaire et le racisme.
Mêlant approche critique et historique, analysant un grand nombre de productions cinématographiques, Léonora Miano montre, de manière clinique, comment cette racialisation a instauré à la fois un système économique et politique inégalitaire, autant que travaillé les imaginaires, au point que personne ne s’interroge vraiment sur la blanchité. Se débarrasser une fois pour toutes de la race, argue l’écrivaine, ne pourra se faire sans un examen de conscience de celles et ceux qui continuent à tirer profit d’un monde structuré sur le racisme.
« L’Opposé de la blancheur. Réflexions sur le problème blanc », de Léonora Miano, Seuil, 184 pages, 17,50 €.
par Séverine Kodjo-Grandvaux Le Monde
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