— Par jean-Marie Nol, économiste —
Gouverner la Guadeloupe avec moins d’un tiers des électeurs c’est faire la part belle au sectarisme voire au populisme, et se créer une situation démocratique précaire, celle que nous voyons aujourd’hui. Certaines personnes ont beau jeu de se féliciter de la soit disant belle victoire enregistrée par le gusr et du recul des socialistes à l’occasion des dernières élections régionales et départementales , le résultat ne trompe personne. Il faut admettre que c’est une claque et même une énorme claque pour toutes les formations politiques de la Guadeloupe . Il va falloir se réveiller et trouver autre chose que des éléments de langage pour dire que c’est une réussite électorale , parce que nous avons un taux d’abstention record .
Les guadeloupéens manifestent un certain dégoût mêlé de déception vis-à-vis de la politique, certains pensent que le résultat du vote ne changera pas leur vie de toute façon. C’est vrai, et les responsables politiques doivent répondre à ces sentiments qui les interpellent, bien sûr. Mais le rôle primordial de l’opportunisme électoral explique aussi l’abstention qui est un danger à terme pour la démocratie locale.
Nous ne pouvons pas rester dans le déni, car seul environ 18 % des guadeloupéens ont voté pour les deux présidents des collectivités majeures que sont la région et le département. La classe politique devait réconcilier les guadeloupéens avec la politique, l’abstention a explosé. C’est un échec sur toute la ligne et pas seulement pour le PS qui a péché par une mauvaise appréciation du rapport de force politique actuel et d’une vision erronée de la stature politique des personnalités présentes sur la liste peyi Guadeloupe !
Reste que le Parti socialiste doit reconstruire une relation avec les électeurs pour être à nouveau crédible et en phase avec la mutation de la société. Le travail de refondation commence après la défaite . Il faut déjà retrouver un leader, la survie commence là !
Pour le reste, posons nous la question de savoir où est le changement d’avenir quand on sait que seul trois guadeloupéens sur dix se sont déplacés pour aller voter ?
Reste aujourd’hui uniquement deux forces politiques en Guadeloupe qui comptent à savoir le gusr et alliés et le parti socialiste. Donc dire que le parti socialiste est en voie de disparition est une sottise.
Dans les prochaines années, une autre force risque d’émerger en Guadeloupe c’est l’ANG et son pendant sur le plan électoral la liste nou, mais c’est un pari sur l’avenir. Tout dépendra du succès de leur implantation sur le terrain électoral dans les communes de Guadeloupe.Si l’idée nationaliste n’est pas a priori absurde pour une fraction de la population , elle est sans espoir en l’absence d’une conquête effective du pouvoir local. Mais attention aux fausses illusions nationalistes ! L’exemple de la Martinique est en ce sens très parlant. En effet, pour moi qui suis depuis déjà plusieurs années avec intérêt et attention la vie politique en Martinique, je dois à la vérité de dire que la conduite du pouvoir dans ce pays est pour moi une véritable énigme. En effet, pendant six ans à la tête de la CTM, avec Alfred Marie-Jeanne un président indépendantiste chevronné (50 ans de vie politique avec des responsabilités au plus niveau) , l’on ne note aucune avancée politique sur la voie de la « responsabilité locale » sinon des bisbilles politiciennes . Le Statu quo s’avère aujourd’hui total à part une légère réforme institutionnelle ayant trait à une fusion très mal ficelée du département et de la région. Samedi, Claude Lise l’ancien président de l’Assemblée de Martinique déclarait sur Martinique première que cette fusion était un échec. Mais passons sur ce point et attardons nous sur la nouvelle équipe composée d’autonomistes historique en place à la collectivité territoriale de Martinique (CTM.) Aujourd’hui l’on constate que Serge Letchimy le nouveau président de la CTM et ses amis disposent désormais de tous les leviers de commande du pouvoir local et de toutes les ressources financières à savoir un budget de la CTM de 1,3 milliards d’euros. Désormais, le parti progressiste martiniquais (PPM) a entre les mains la CTM + les 3 communautés d’agglomération + 26 maires (sur 34), ce n’est pas rien. C’est même beaucoup et pourtant Serge Letchimy a déclaré après son investiture que l’autonomie ne sera pas à l’ordre du jour pendant la prochaine mandature de 7 ans et qu’il envisageait de gérer la CTM dans le cadre des institutions actuelles auxquelles les Martiniquais sont attachés. Serge Letchimy annonce vouloir désormais privilégier le développement économique et entreprendre des projets innovants en matière de numérique, d’économie bleue et de transformations agricoles… Que faut- t-il comprendre ? Est-ce l’espérance d’un pouvoir local accru avec la future loi 4D ? J’ai toujours dit et écrit que le changement institutionnel ou statutaire était un processus de longue haleine hérissé de chausses trappes et que cette problématique de la responsabilité était minée aux Antilles, car le dernier mot appartient d’abord à l’Etat puis au peuple et non aux élus (cf l’expérience du référendum de 2002 en Guadeloupe et celui plus récent en Martinique qui avait vu le peuple rejeter l’article 74 de la constitution française à plus de 78%de votants ) . Que faut -t- il en conclure pour la Guadeloupe sur la réouverture probable du débat sur la collectivité unique avec la signature du contrat de gouvernance ?
Nonobstant ces velléités, il faut nécessairement savoir que la fusion des régions est un échec en France. En Martinique et en Guyane la fusion du département et de la région, c’est aussi un échec patent. Depuis longtemps, j’ai mis en garde contre la collectivité unique. En Guadeloupe, cela serait une très grave erreur de jugement que de supprimer le département comme veulent le faire de façon insidieuse et imprudente, certains hommes et femmes politiques. Soyons très vigilants !
Le prochain grand débat, outre celui de l’Assemblée unique, se fera autour de la loi 4D. C’est la seule loi en passe de s’appliquer prochainement en Guadeloupe . On verra bien ce qu’il en ressortira de cette loi. Attendons le débat et on verra bien le positionnement des uns et des autres
Oui, mais en attendant, c’est bien un revers pour la démocratie et un succès de l’opportunisme à bon compte de nos élus. L’exemple le plus criant c’est celui d’un maire du Nord grand- terre qui était tantôt de droite avec Mme michaux chevry , ensuite avec les socialistes et maintenant une fervente soutien du gusr chantre de l’autonomie . Mine de rien cela contribue à désorienter le peuple et booster l’abstention.
La classe politique en Guadeloupe n’a aucune envergure morale et encore moins de dignité.
C’est le populisme et le clientèlisme qui triomphe en ce moment en Guadeloupe et c’est tout !
Attendons les prochaines législatives, moi je subodore encore des retournements de vestes, car la demande d’Etat et de protection est toujours très forte en Guadeloupe , c’est reconnu d’un bout à l’autre du spectre politique. Ainsi on demande à l’Etat de payer la gabegie des élus sur l’eau, de payer les déficits des communes, de payer les conséquences de la crise du Covid…. Et pourtant les critiques et oukazes envers l’Etat fusent de toute part en provenance de certains qui réclament à cor et à cri plus de compétences aux élus locaux . « Tant va la cruche à l’eau qu’elle finie par se casser ». L’action publique est en premier lieu confrontée à une crise idéologique et de légitimité.
Difficile de nier l’existence de ce sentiment diffus d’anomie . Une fraction grandissante de l’électorat ne se reconnaît pas dans cette proposition politique de plus de compétences aux élus.
Cela peut sembler dangereux pour la stabilité et la légitimité des institutions locales et l’avenir à court terme de la démocratie, mais à qui la faute ?
L’ important, dans le contexte actuel, c’est bien d’avoir en mémoire le proverbe créole : » *manglous ka chanjé pwel, I pa ka chanjé po ».*
Jean-Marie Nol