L’opéra et le devenir de l’Europe

—Par BERNARD FOCCROULLE Directeur du Festival international d’art lyrique d’Aix-en-provence, ambassadeur culturel européen 2013 —

A l’occasion de la conférence du réseau Opera Europa qui s’est tenue à Vienne (Autriche) du 3 au 6 avril, José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, s’est adressé aux directeurs d’opéra européens : non seulement l’opéra a servi de ciment à l’identité européenne au cours des siècles, nous a-t-il dit, mais aujourd’hui l’Europe a besoin des artistes et des intellectuels pour l’aider à écrire une nouvelle page de son «histoire». Comment parvenir à dégager les grandes lignes d’un projet commun pour les décennies à venir ? Quelle peut être la contribution du monde de l’art, et de l’opéra en particulier ?

A vrai dire, les préoccupations des directeurs de festivals et d’opéra sont aujourd’hui essentiellement tournées sur les conséquences d’une crise dont l’ampleur est probablement beaucoup plus profonde que nous ne le reconnaissons. Aux aspects financiers et économiques s’ajoutent la rapide dégradation de l’environnement, ici les tensions sociales, ailleurs des guerres interminables, et une difficulté croissante à maîtriser le cours des choses.

Faut-il encore parler d’une «crise» dont l’issue permettrait éventuellement de revenir à une situation comparable à ce que nous avons connu précédemment ? Ou ne faudrait-il pas plutôt envisager une mutation plus profonde, avec tous les risques mais aussi toutes les opportunités à saisir en pareille circonstance ?

En Italie et dans plusieurs pays européens, des maisons d’opéra se trouvent au bord d’une faillite imminente. Les raisons ne sont pas uniquement à trouver dans les restrictions financières drastiques de ces dernières années, mais plus généralement dans une prise de conscience insuffisante des changements profonds que nous connaissons : «maintenir les choses en l’état» n’a plus de sens aujourd’hui ! C’est seulement en faisant évoluer nos institutions culturelles, en les recentrant sur la création (au sens le plus large du terme), en les ouvrant à de nouveaux publics, en développant de nouvelles formes de participation de ces publics que nous pourrons nous renforcer et nous préparer aux nouveaux défis qui s’annoncent dans un monde globalisé.

L’Europe fourmille de lieux et d’artistes qui participent activement à cette évolution. De Palerme à Helsinki, de Madrid à Riga, certaines maisons d’opéra font preuve d’une créativité impressionnante. Nous avons également l’exemple d’institutions culturelles qui se sont transformées et régénérées ces dernières années : la Tate Modern, le Philharmonique de Berlin et le London Symphony Orchestra, certains festivals ou compagnies de théâtre et de danse montrent qu’il est possible de prendre dès maintenant des orientations stratégiques qui permettent de surmonter la crise, d’explorer de nouveaux modèles économiques, d’ouvrir de nouvelles voies associant de très hautes ambitions et une saine gestion.

La question du dialogue entre les cultures fait partie de ces nouveaux défis : très souvent, nos institutions culturelles n’ont guère été préparées à intégrer cette dimension, si ce n’est à la marge de leurs activités. Dans un monde globalisé, ce repli est-il encore tolérable ? N’avons-nous pas à inventer de nouveaux rapports entre artistes venus d’horizons différents, entre traditions culturelles et créations ? Ne faut-il pas repenser, par exemple, le rapport de l’Europe et de la Méditerranée en termes de création artistique, d’échanges culturels, de formation, de circulation des (jeunes) artistes et des productions ?

L’opéra, riche de sa longue tradition européenne, ne gardera du sens que s’il s’ouvre à d’autres cultures. Un opéra européen recroquevillé sur son passé perdrait très vite son impact. Mais les apports de grands artistes venant d’autres horizons, les métissages et les circulations le rendront d’autant plus créatif et pertinent au XXIe siècle. Les créations de George Benjamin et Pascal Dusapin, Patrice Chéreau et Michael Haneke, Katie Mitchell, Anne-Teresa De Keersmaeker, William Kentridge et bien d’autres nous invitent à refonder notre rapport à la nature, à l’autre sexe, aux autres cultures, à notre histoire, au quotidien, aux réalités lointaines ou virtuelles… La confrontation à ces nouvelles formes de création peut changer notre rapport au monde.

Plus que jamais, nous avons besoin de décloisonner. Le monde de l’éducation éprouve un besoin criant …

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http://www.liberation.fr/culture/2013/04/16/l-opera-et-le-devenir-de-l-europe_896655

16 avril 2013 à 19:06