— Par Jean-Marie Nol, économiste financier —
En Guadeloupe et en Martinique, même si nous commençons à constater un changement de paradigme au niveau du système social en France avec l’élection de Macron, nous sommes encore loin d’un mouvement massif visant à révolutionner les esprits, mais on s’accorde à dire que « la politique ne va pas bien ».
Nous souffrons d’une forme croissante de désintérêt vis-à-vis du politique, d’une forme d’indifférence reflétée par de forts taux d’abstention aux élections des dernières années. La preuve pour ce second tour de la présidentielle où l’abstention a atteint un niveau historique en Guadeloupe de 50,77 % %,et de 49,74 % en Martinique, auquel il faut ajouter les votes blancs qui s’élèvent à 12% des votants, (et gageons qu’il en sera de même pour les prochaines législatives ), faisant de ceux qui ne se reconnaissent pas dans les 82 candidats en lice en Guadeloupe ainsi que dans les 53 déclarés en Martinique, le premier parti d’opposition.
Alors si le dialogue entre les citoyens et leurs élus devient difficile, les premiers ne se sentant pas toujours écoutés, les technologies numériques pourraient bien changer la donne. La révolution numérique va-t-elle contribuer à changer la manière d’être et de penser en Guadeloupe et Martinique ?
« Quel modèle de société ? », « Quel modèle économique ? » et » Quel avenir et quelle place pour la Guadeloupe et la Martinique dans la mondialisation ? » cela devrait normalement être les trois thématiques importantes du débat électoral des législatives. …Que nenni !
Emmanuel Macron, devient à 39 ans le 8e président de la Ve République. En attendant de savoir quelle part son gouvernement accordera au numérique et de quelle marge de manœuvre il disposera après les législatives pour appliquer son programme, il semble opportun de comprendre l’impact du numérique sur le travail de demain et quelles seront prochainement les relations entre entreprises et salariés ?
Desksharing, fablabs, télétravail, coworking, hôtels d’entreprise, pépinière… nous assistons à l’émergence de nouvelles organisation et de nouveaux lieux de travail. Le mot d’ordre est désormais flexibilité et c’est pourquoi Emmanuel Macron a fait de la loi travail, la mère de toutes les réformes de son quinquennat, mais pourquoi fait-elle peur à tant de monde?
Tout simplement parce c’est une loi qui a pour ambition de transformer le modèle social français et ce compte tenu de la révolution numérique. Le faire passer d’un modèle fondé sur une culture du conflit national à un modèle fondé sur une culture du compromis social au niveau de l’entreprise.
Pendant plus d’un siècle, le modèle n’a progressé qu’à l’issue d’une lutte de classes sociales, une succession de conflits qui permettaient aux syndicats d’arracher des avantages ou des améliorations et de les protéger contre vents et marée de la conjoncture.
Emmanuel Macron souhaite un modèle socio-économique qui tienne compte de l’évolution du fonctionnement de la planète. Une mondialisation des échanges, une économie de marché partout dans le monde qui a généralisé la concurrence et une révolution technologique qui a bouleversé les rapports entre les hommes et améliore considérablement la productivité et la compétitivité de ceux qui ont su s’y adapter.
La loi travail voulue par Emmanuel Macron, sans le dire ouvertement, s’avère être totalement pensée pour anticiper les effets néfastes du numérique sur l’emploi. Elle est sans doute la première des réformes, la plus importante à ses yeux. Pourquoi ?
Parce qu’elle est de nature selon lui à donner deux qualités qui manquent cruellement au modèle français :
Un, de la flexibilité, c’est à dire donner aux acteurs de l‘économie la liberté de s’organiser et de s’adapter aux variations de la conjoncture.
Deux, de la sécurité, c’est à dire répondre à l’angoisse partagée par la plupart des acteurs face à des mutations qui peuvent les affecter. Si on considère que la première des sécurités c’est d’avoir un emploi, un moyen de vivre et un rôle social, il faut toucher au droit du travail qui régit des situations trop rigides, devenant sclérosantes.
L’opposition des syndicats se cristallise sur certaines dispositions contenues dans le futur projet de loi et qui avaient déjà provoqué la colère des partenaires sociaux lors de la loi El Khomri.
1) le changement de la hiérarchie des normes est sans doute le point qui agace le plus les syndicats traditionnels. Cette disposition prévoit que la norme sociale, l’accord ou la réglementation devrait se négocier et se décider au niveau de l’entreprise, et pas seulement au niveau de la branche ou au niveau national. Le projet de loi cherche à ce que le droit du travail soit fabriqué au plus près de la réalité de l’entreprise, les horaires, les jours de travail devraient pouvoir s’adapter à l’activité de l’entreprise en fonction de sa conjoncture.
2) Un allégement des procédures de licenciement avec un plafonnement des indemnités. La majorité des chefs d’entreprise considère que la lourdeur et le coût souvent imprévisibles des licenciements les dissuadent d’embaucher et donc de créer des emplois. Résultat, les entreprises ne grossissent pas, ou alors elles prennent du personnel intérimaire ou multiplient les CDD. Cela dit, au delà de ces dispositifs, tous les partenaires sociaux savent bien que ce qui est en jeu, c’est la mise en place d’un modèle social plus compétitif. Parce qu’au delà du code du travail qu’il faut simplifier, il faudra aussi finaliser la baisse des prélèvements sociaux à la charge de l’entreprise, il faudra réformer l’assurance chômage et le fonctionnement de l’Unedic. Réformer le système des retraites et de l’assurance chômage. Tout se qui constitue les modules qui composent le puzzle social est sans doute à restaurer.
Dans un tel contexte, la numérisation ou digitalisation de l’économie qui sous tend la loi travail est porteuse d’un risque de déstabilisation des grands équilibres économiques, sociaux et sociologiques de la société Antillaise. La révolution numérique bousculera l’économie de la Guadeloupe et de la Martinique plus tertiarisée, car voilà qu’une nouvelle aventure économique se présente, celle de l’économie dématérialisée, et je pense sans risque d’ être contredit que des milliers d’emplois sont menacés à bref délai, car le numérique va bouleverser l’emploi dans le secteur public et para public en Guadeloupe tout autant qu’en Martinique .
L’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, la nomination d’Édouard Philippe et la constitution de son gouvernement a occulté le nouveau rapport du cabinet Roland Berger sur la transformation numérique dans le secteur public. Ce document annonce une mutation que certains redoutent et que d’autres espèrent, mais qui reste inéluctable. Selon ce rapport, publié le 11 mai, 40.000 à 110.000 postes d’agents publics (soit entre 3 à 8 % des fonctionnaires d’État) pourraient être impactés à court terme par la transformation numérique de l’administration.
« À court terme, dans toutes les administrations, les emplois qui apparaissent comme les plus exposés à de fortes probabilités d’automatisation concernent les personnels administratifs et techniques, les secrétaires administratifs, les contrôleurs et techniciens et les adjoints administratifs et techniques », précise le rapport.
Comme les auteurs du rapport le rappellent, cette mutation est déjà bien amorcée dans le secteur bancaire.
Et pourtant à vrai dire, le numérique comporte des enjeux pleinement politiques : parce qu’il transforme l’économie, parce qu’il rebat les cartes de la compétition et parce qu’il pose des questions fondamentales à la société. Il doit donc avoir sa place dans les débats de 2017. Dans la décennie à venir on risque d’assister à un phénomène économique pervers de paupérisation de la population guadeloupéenne et martiniquaise avec le numérique,et ce du fait de la décrépitude de l’administration et des anciennes entreprises et de l’absence de recettes en provenance du secteur numérique. Il faudrait donc compenser par une fiscalité directe accrue. C’est un cercle vicieux sur lequel nous reviendrons plus tard. Ce choix de gains microéconomiques à très court terme pourrait provoquer une perte macroéconomique à long terme, en cascade et en progression géométrique.Le modèle économique actuel actuel de la Guadeloupe et de la Martinique est à bout de souffle, relativement lourd et rigide, il sera bousculé entre autres par le numérique. Aussi bien sur le plan du salariat classique ( dégraissage massif des emplois de service ou administratifs ) que sur celui de la fiscalité ( disparition de l’octroi de mer avec la problématique du financement des collectivités ). Ce ”nomadisme technologique”, qui révolutionne le travail et peut fasciner, est néanmoins porteur d’une menace imprévue : diminuer les emplois et le tissu des entreprises fiscalement contributrices. Ce qui effraie dans l’économie numérique, c’est l’ampleur de la menace de destruction d’actifs. Tous les emplois de service créés au XXe siècle, ceux-là mêmes qui font le cœur de la classe moyenne comme le secteur bancaire, les assurances ou les agences de voyages, sont voués à disparaître ou du moins, à subir des transformations majeures.Les professions libérales comme les pharmaciens, notaires et autres avocats sont menacées de disparition dans leur forme actuelle à brève échéance. Les nouvelles technologies portées par le numérique réduisent à l’essentiel les emplois intermédiaires en les remplaçant par des « logiciels ».
Un rapport du WEF, l’organisateur du forum économique de Davos, a fait grand bruit en 2016. Il prévoit la disparition de 5 millions d’emploi, rendus obsolètes par la révolution numérique.
Plus aucun job n’est à l’abri. » Une évolution inquiétante ? « Si on veut créer d’autres métiers, ce qui est l’espoir derrière toute révolution industrielle, il faudra les inventer »,
Pour une grande partie des experts, la clé pour une transition réussie se trouve essentiellement dans la formation.. Sans une action urgente et ciblée dès aujourd’hui pour gérer cette transition à moyen terme et créer un nouveau modèle économique et social avec une main d’œuvre ayant des compétences poussées pour l’avenir, la Guadeloupe comme la Martinique devront faire face à un chômage en hausse constante et à des inégalités accompagnées d’une violence syndicale incontrôlable Je doute de la capacité de notre société à encaisser un bouleversement aussi brutal sans basculer dans l’hystérie syndicale, et transformer le rêve de » l’égalité réelle » en cauchemar avant qu’il n’ait le temps de se réaliser.C’est bien pour prévenir selon eux, ce chaos que le président Macron et son gouvernement veulent introduire dans la législation du travail plus de déréglementation et de flexibilité.
En moins de dix ans, le numérique va révolutionner notre accès à l’information, transformer notre vie quotidienne et bousculer les positions acquises dans plusieurs secteurs économiques comme la presse (liquidation judiciaire du journal France Antilles ) le transport et le tourisme.
Qu’en sera-t-il dans la décennie 2017-2027 ? Le mouvement de transformation va se poursuivre et atteindre une part croissante de la production des biens et de services, y compris les services publics, en exerçant son potentiel de simplification, d’optimisation et de transformation des organisations.
L’enjeu est considérable pour la société et l’économie de la Guadeloupe et de la Martinique. Pour tirer tout le parti de la révolution numérique, pour en être les acteurs plutôt que de la subir, il ne faut pas l’attendre, il faut la provoquer. Or notre situation est ambiguë. Dans les entreprises, Internet change les règles du jeu. Cela peut être une chance pour les salariés, à condition que les syndicats parviennent à réinventer leur rôle. Mais comment changer de logiciel de lutte des classe quand on occulte les vrais enjeux de l’avenir ?
Nous nous trouvons aux prémices d’un grand changement, dont les possibilités et le potentiel ne sont pas encore clairement définis. S’il est une interrogation qui rassemble les sociétés, des plus anciennes au plus contemporaines, c’est bien celle qui porte sur le futur. le numérique est en train de rebattre les cartes sur le dialogue social dans un futur proche. Alors que la question de la préservation d’emplois, notamment industriels, focalise jour après jour notre attention sur les médias, celle des contours futurs du travail demeure peu abordée. Il semble bien que quelque chose n’aille plus de soi dans le rapport au travail. L’inadéquation de certains univers professionnels à la vie quotidienne, du fait principalement des nouvelles technologies, nous interrogent. C’est l’organisation du travail, telle qu’elle s’est mise en place au cours de la seconde révolution industrielle et après 1945, qui est aujourd’hui ébranlée avec de forts risques de conflits sociaux à répétition. Internet, médias sociaux, réseaux sociaux, jeux vidéos, terminaux mobiles : comment ces nouvelles technologies bouleverseront-elles notre façon de travailler ?. …Quelles seront les relations entre entreprises et salariés ?
“J’alterne entre du desk sharing en open space et des matinées de home office”. Traduisez : “Je peux naviguer d’un poste à un autre au cours de la même journée et travailler de chez moi le matin”. Un jargon qui pourrait surprendre alors qu’il est pourtant déjà une réalité dans nombre d’entreprises.
Le principal enjeu pour rester dans la course est d’être capable d’anticiper un changement de modèle économique et social pour la Guadeloupe et la Martinique.
C’est cette longueur d’avance qui permettra de mieux gérer les conséquences du numérique sur l’emploi et l’organisation de l’économie, en faisant notamment des diagnostics des transformations possibles de la société. Aux Antilles, la majorité des entreprises reste encore à l’écart de cette digitalisation de l’économie. Si on prend l’exemple du commerce en ligne aux Antilles, une très faible proportion des entreprises exerçant leur activité s’y est convertie. Cela contraste avec les particuliers, qui ont déjà intégré ce mode d’achat. Aujourd’hui, le numérique affecte l’activité d’une entreprise à toutes les étapes. Il permet d’en améliorer les processus, et la productivité,mais constitue un danger pour l’emploi. L’extension des possibilités d’automatisation remettra notamment en question la place de l’homme Antillais dans les processus de création de valeur, y compris sur l’aspect décisionnel avec une pénurie prévisible encore plus accentuée de cadres véritablement locaux. Les enfants d’aujourd’hui n’occuperont pas les mêmes postes que leurs parents et devront, dans certains cas, inventer leurs propres emplois. Plus créatifs et plus précaires, ils doivent s’adapter en permanence au nouveau rythme des mutations du marché du travail, qui fait de la créativité plus qu’une qualité, une obligation, voire une souffrance. Le « burn-out » ( un état d’épuisement général, à la fois psychique, émotionnel et mental ) ) remplace les douleurs mécaniques, et les maux psychiques succèdent aux maux physiques des employés du XXe siècle.
Notre avenir doit changer de perspective et pour l’idéaliste constructif que je suis, cette nouvelle perspective doit nous montrer un futur accessible à tous. Il devient de plus en plus clair qu’il nous faut une nouvelle logique économique de développement telle que l’économie sociale et solidaire capable de nous faire entrer dans un futur plus équitable et plus durable.
Jean-Marie Nol