— Par Jean-Marie Nol, économiste —
La route de la contestation syndicale est pavée de bonnes intentions, et pourtant à y regarder de près, elle est jalonnée de prises de positions politiques et de revendications sociales qui réussissent à être à la fois contradictoires, inefficaces et aliénantes faute d’un projet politique crédible et cohérent.
Désormais, tous les observateurs de la société Antillaise sont unanimes à penser que la Guadeloupe et la Martinique souffrent d’une absence de projet politique consensuel et pâtissent d’un déficit d’autorité. Une telle situation laisse le champ libre aux populistes et activistes de tout poil .
Comment on est-on arrivé là ?
En réalité, ce bouleversement de l’ordre politique n’est plus seulement une question Antillaise . Le glissement vers l’extrémisme est devenu une tendance française et même européenne. Et voilà pourquoi, désormais, l’activisme et l’outrance ne semblent plus aussi controversés comme le dénote très bien les expressions tirées du panégyrique des organisations syndicales. Je cite quelques morceaux choisis : Nous irons jusqu’au bout ! LAGÈ Déklaré ! LWA A YO PA BON POU NOU !
TRAVAYÈ – PÈP GWADLOUP – DOUBOUT pou kas kod !
GWADLOUP SÉ TAN NOU !!!
C’est là une véritable surenchère verbale aux accents guerriers et révolutionnaires . Et d’ailleurs pourquoi l’UGTG, la CGTG, FO, et le LKP s’en priveraient -ils, eux qui militent ouvertement ou en sous – main, pour l’indépendance de la Guadeloupe ?
D’ailleurs, il faut nécessairement noter que l’UGTG a inscrit l’indépendance de la Guadeloupe dans ses statuts en lettre d’or. Ce qui est à notre sens une aberration, car dans l’histoire doctrinale de l’accession des peuples à la souveraineté, jamais au grand jamais un syndicat n’a été le fer de lance d’une lutte de libération nationale. C’est là l’affaire des partis politiques. Si certains, à l’image de ceux qui manifestent tous les samedis ne veulent pas de la loi sur l’obligation vaccinale , alors le LKP est-t-prêt à donner sa chance à un référendum sur la question de l’indépendance pour la Guadeloupe. L’utopie identitaire et nationaliste sera certes semée d’embûches, mais l’abcès doit être crevé pour le bien être mental des générations futures de guadeloupéens. Il faut savoir anticiper les risques de troubles politiques et sociaux pour en finir avec la schizophrénie qui veut qu’on réclame l’application de la loi française quand cela arrange pour l’obtention de subsides et avantages matériels, et qu’on la refuse quand cela dérange. Français à part entière et français entièrement à part, alors bien qu’il va falloir un jour choisir une position claire en faisant parler les urnes comme en ce moment en Nouvelle-Calédonie. Dans le cas d’espèces de la Guadeloupe, c’est l’ambiguïté de la pensée qui domine la scène politique et sociétale, alors le civisme en meurt comme on le contaste avec l’abstention massive à chaque élection , la dynamique économique en pâtit et l’efficacité des politiques publique s’y perd. Ce phénomène peut se manifester ailleurs dans le monde mais il est poussé à son paroxysme en Guadeloupe. L’exemple de la crise sociale de 2009 est encore dans tous les esprits. En 2009, d’immenses manifestations populaires ont contesté le pouvoir central alors qu’éclatait au grand jour une crise sociale sans précédent . Au final, peu de résultats tangible sur le plan social et de changement des institutions, mais pour autant l’économie s’est effondrée et avec elle toute une société confrontée à un appauvrissement aussi fort que brutal. Le produit intérieur brut (PIB) qui mesure la richesse produite par la Guadeloupe avait à l’époque chuté de près de 5 %.
Près de 12 ans plus tard, les mouvements contestataires qui se sont auto-baptisés nationalistes et révolutionnaires , mais qui en fait relève de l’anarcho-syndicalisme, sont très peu visibles sur l’échiquier électoral . Pour autant, à l’occasion de la crise sanitaire, ils tentent aujourd’hui de remettre le couvert de la contestation du système de départementalisation . Le traumatisme des acteurs s’étant estompé depuis, sur le plan économique et social , la nouvelle tentative de remobilisation de dynamiques collectives ne semble pas prendre aujourd’hui de l’ampleur, alors qu’à l’échelle individuelle le niveau de pauvreté est élevé, et le rythme de l’émigration des jeunes sans volonté de retour s’est très fortement accéléré avec le climat social ambiant délétère et les contraintes liées à la Covid. Au point que le paysage politique et social semble extraordinairement figé, alors que la société est en plein bouleversement du fait de la pandémie de Covid . Cette spirale infernale de radicalisation des esprits n’est propre ni à la Guadeloupe ni à cette période mais féconde avec ce pouvoir central trop mou et particulièrement faible, dont la crise Covid révèle l’absurde matrice d’un trop plein de laisser aller et de laisser faire. Les élus locaux eux s’avèrent incapables de faire preuve d’initiative et d’autorité. Les acteurs économiques sont inaudibles et lâches. La réponse à la crise sanitaire en est un triste exemple.On laisse prendre les citoyens en otages dans ce paradis perdu qu’est la Guadeloupe sans mot dire. En effet, comment expliquer que des barrages puissent être érigés sur la voie publique en toute impunité et que des pompiers mènent des opérations escargots avec les véhicules de services, alors même que la loi sanctionne ce type de comportement délictuel passible de sanctions administratives et disciplinaires voire pénales ( amendes ou contraventions) .
Le LKP et surtout l’UGTG mènent une guerre d’un autre âge où l’avenir est brouillé par l’obscurantisme ambiant d’une fraction du peuple . Le LKP est un panier à crabes. Il faut être niais pour ne pas voir l’impossibilité de cette organisation à susciter l’adhésion des guadeloupéens pour la grève générale à travers le motif du refus de l’obligation vaccinale et du pass sanitaire . Depuis la crise sociale de 2009, le LKP a lancé pas moins de 10 mots d’ordre de grèves générales qui se sont immuablement ponctués par des échecs cuisants, avec au surplus, des imposants cahiers de revendications demeurés toujours lettre morte à ce jour, faute de négociations sérieuses. À en croire les syndicats et une partie des citoyens , la loi sur l’obligation vaccinale ne doit pas s’appliquer en Guadeloupe , et tout cela irait dans le sens de la schlague prélude à une dictature. Mais, en sens inverse, si l’on écoute l’homme de la rue ou son voisin de palier, ce serait plutôt l’inverse : indécision, contradictions, management laxiste, lâcheté des élites, pagaille au sommet de l’État et silence radio des élus locaux : tout irait dans le sens de la chienlit. Une fois encore, la perception des réalités n’est pas la même dans la classe politique et dans la population. Pis que cela : l’écart ne fait que grandir, et c’est peut-être bien cet écart qui est le fond du problème. D’un côté, demande impossible à satisfaire de suppression de la loi ; de l’autre, déficit d’autorité. Or ce qui caractérise la situation actuelle de la Guadeloupe , c’est bien plutôt l’absence de cap. Tel un bateau ivre, la Guadeloupe va à la dérive avec, à la barre, des élus dont l’amateurisme est fortement aggravé par une prétention sans bornes de l’État à restaurer une confiance perdue des Antillais. Une telle entreprise est vouée à l’échec sans restauration préalable de son autorité. L’histoire de la Guadeloupe est singulière. Mais l’histoire montre qu’il n’y a pas de déterminisme absolu en politique . Des pays positionnés dans un environnement naturel et politique hostile, avec des populations confessionnellement hétérogènes, se sont développés sans véritable ressources naturelles mais avec le travail et la discipline .
C’est le cas de Singapour. La Guadeloupe n’est donc pas condamnée au chaos, pas plus que la France n’est condamnée au déclin, raison de plus pour réfléchir au destin des uns et des autres et en tirer des enseignements.
Jean-Marie Nol, économiste
Le 16/11/2021