Littérature : le poète Martiniquais Loran Kristian remporte le 31e prix Carbet

Les silences du poète racontent.
Ils racontent un silence qui fait peuple.
Un silence de mots qui nous emportent loin, si près de nous-mêmes,
À l’écorché des âmes.
Mots-hommages qui boucanent aux aurores,
Mots-furtifs qui luisent aux nuits de sabbat.
Mots-Liberté,
Mots-debout dans l’asphalte poudrée en son or,
Mots pour dire son précieux reflet,
Mots-purs, intenses, neufs qui s’inscrivent dans les soubresauts de nos horizons actuels.
Mots-oxygène, ils sont,
Mots instants de vie,
Mot-solitude,
Mot-amour
Mots-résistances qui échappent aux discours dominants.
Mots-mélodies,
Mots-mélancolies,
Aux accents et aux imaginaires de nos « moi » créant ainsi un langage singulier, une langue unique qui manifeste nos alphabets caraïbes et américains.
Mots si près de l’humain,
Mot-émancipation,
Mot-décolonisation,
Mot-souverains,
Mot-destruction des mondes anciens et rétrogrades.
Mots-sans peur qui ne se soumettent pas aux ordres militants.
Mot-Liberté.

…Je dépose ça là, en silence, pour la hauteur du combat avenir…

Mots qui nous obligent à dire : le Prix Carbet de la Caraïbe et du Toutmonde, réuni à Paris, ce 11 décembre 2021, est attribué à Loran Kristian
pour son ouvrage Les mots de silence paru chez K. Éditions.

Sorti en cette rentrée littéraire 2021, ce recueil de poèmes a d’ores et déjà été chaleureusement salué par un lectorat averti, dont certains grands noms de la littérature antillaise comme Raphael CONFIANT.

En effet, « composé d’un peu de plasma et d’un paquet de gravité pour freiner l’inertie des corps céleste… Pour faire quelques tâches de vies sur la gueule d’ogre du Soleil »A ; Ce recueil poétique lit notre désarroi et nos espoirs actuels, par lesquels nos silences se déversent en lave éruptive brûlant au passage nombre de nos renoncements hypocrites.

Livre sensible, intelligent, fougueux et péléen ! Livre écrit au difficile pour aller forer l’indicible, « lancer des cordes à travers les oublis. Tirer des bords au plus près du vent. Habiller l’indicible. Dépapiller la langue. Transcrire la vie en graphies affranchies. »

Il s’agit d’un ouvrage dont on ne ressort pas comme on y est entré, mais à travers lequel nos références se sont ébranlées, nos certitudes ont disparu, nos habitudes ont pris la fuite ; les couleurs et les odeurs se sont mélangées.

Il nous fera entrer dans une magie douce-amère qui nous secoue de l’intérieur, une poétique martiniquaise.

Extraits du recueil « Les mots de silence »

« Les mots de silence » est le premier recueil poétique de Loran Kristian, illustré par le plasticien martiniquais Ricardo Ozier-Lafontaine et publié chez K. Editions. Sa poétique est inscrite dans son lieu, en relation étroite avec le monde. Elle exprime une quête singulière, éruptive et sensible de liberté comme d’affranchissement des mots ainsi que des êtres.

Loran Kristian est né le 28 août 1977. Il a été formé en histoire, philosophie et Littérature comparée à l’Université Antilles-Guyane, puis en Sorbonne. Ingénieur culturel impliqué dans la société civile et la coopération culturelle caribéenne, il est actuellement responsable d’institutions patrimoniales à la Martinique. « 

Le grand écrivain martiniquais Raphael Confiant dit de lui : << Et voici que nous arrive, à l’orée de la deuxième décennie du nouveau millénaire, une voix originale, puissante, nourrie des textes de ses prédécesseurs mais parvenant subtilement à les dépasser… Il « écrit au difficile », selon l’heureuse formule de Glissant, parce que la littérature n’a pas pour vocation de surfer sur l’air du temps mais bien de tenter de percevoir l’indicible, le non-dit du dit. Lisez Les mots de silence ! Un nouveau grand poète martiniquais est né…>>

Loran Kristian pourquoi la poésie en 2021?
Pour attendre la fin du monde. La poésie est une manière d’exister, un mode d’existence, une façon d’habiter la vie de manière désincarcérée. Certains la considèrent comme affaire inutile et marginale, préoccupation de rêveur déconnecté, mais c’est probablement aussi faire l’expérience du chaos : c’est à dire habiter les béances et les failles du monde, pour explorer les siennes et tisser autre chose.

La séquence actuelle de notre histoire humaine engendre un espace poétique étendu… un état poétique qui en serait plutôt « l’écho le plus juste et le plus nécessaire ». Lieu de recomposition d’un monde grignoté de part en part avec la main du Capital et les dents du
Colonial. En 2021, la poésie est plus que jamais « actuelle », hors du champ de préoccupations technocratiquement et économiquement prédatrices.

Vos texte, au-delà de leurs esthétique singulière, ont un dimension politique! Que dénoncez-vous?
Je ne dénonce rien. J’énonce une parole que je tente d’accorder à une expérience singulière du monde. Essayant de créer, avec des outils discursifs et des mots qui nous échappent, un langage plus vrai, une parole plus « sauvage » comme dirait le Poète. Une poétique. Mais comme tout être humain, je suis en situation embarquée, traversé par les manifestations du monde, ses agitations sociales, ses
langues, ses drives, ses guerres et conflits, ses enchantements et ses enfers ; donc ma poétique adhère étroitement à tout cela, à toute l’organisation de la Cité. Partant, elle tente de viser au cœur tous les mensonges qui nous gouvernent, dans l’espace public, comme privé, cibler tous ces dispositifs de pouvoir qui travaillent nos corps comme nos esprits pour restreindre nos libertés, nos petites politiques collectives ou personnelles. En ce sens, C’est une poétique qui peut être demeure cannibale, caribéenne, et qui aide peut-être à subvertir, ou transgresser l’ordre coloniale-capitaliste.

Pourquoi un pseudo, Loran Kristian?
Loran Kristian n’est pas un pseudonyme. Ce n’est pas un faux nom, pas un nom d’emprunt. Ce sont là mes prénoms transcrits en une graphie « créole ». C’est une manière de reprendre l’initiative et de recréer, là encore. C’est une dépose symbolique du nom
patronymique qu’aucun membre de ma famille n’a choisi pour laisser place, dans la transmission et la filiation, à cette part de liberté constitutive qu’est le choix d’un prénom pour l’enfant de la famille. Le mien comporte aussi celui du Père, indiquant ainsi la relation étroite entre la voie ancestrale et la voix créatrice.

La Martinique et la poésie
Terre caribéenne rattachée à la couronne de France dès 1635, la Martinique a marqué l’histoire moderne mondiale par la richesse de sa culture artistique et culturelle.
En effet, Aimé CESAIRE (poète de la Négritude), Edouard GLISSANT (poète de la Relation et du Tout-monde), Patrick CHAMOISEAU (théoricien de la Créolité et prix Goncourt), ou encore Raphael CONFIANT (poète de la parole créole ), tous reconnus internationalement et tous martiniquais ont forgé a ce petit territoire des outre-mer français de moins de 400k habitants, une réputation de fabrique à grands poètes durant tout le 20e siècle.
Tous ces écrivains ont systématiquement inscrit leur art dans un contexte politique fort (décolonisation ; métissage ; mondialisation ; …). Ils ont institué la poésie martiniquaise comme un outil d’avancement et de dépassement, une « poétique » dont la valeur universelle à retenti bien au-delà du littoral de l’île.
Cette terre volcanique, siège de la tristement célèbre montagne Pelée, marquée par l’histoire de la traitre transatlantique et des réalités sociaux économiques contemporaines parfois rudes, semblait s’être endormie ces dernières décennies.
Mais les fumerolles aujourd’hui réapparaissent, porteuses d’un espoir éruptif nouveau.
NB : Parallèlement à la sortie du recueil, l’actualité antillaise (novembre 2021) est venue rattraper le propos avec des évènements sociaux d’une préoccupante gravité, apportant un éclairage nouveau sur le texte et sa portée politique.

– Attendus du jury : http://tout-monde.com/documents/attendus-prixcarbet2021.pdf
– Présentation de l’auteur et de l’œuvre : http://tout-monde.com/documents/lorankristian.pdf
– Extrait du recueil de Loran Kristian : http://tout-monde.com/documents/extraits-lorankristian.pdf