— par Janine Bailly —
À l’heure où, sur les ondes venues de « là-bas », les voix enjôleuses de la station radiophonique France Inter nous incitent à rédiger une lettre de motivation dans l’espoir un peu fou d’être sélectionnés au Jury du Livre Inter à Paris, sachant que nous serons des milliers, doux rêveurs, à répondre à l’appel, tournons-nous plutôt vers le pays Martinique, et regardons où il serait loisible d’exercer notre esprit, critique ou pas, et nos talents de « lecteurs-scripteurs », si tant est que nous en possédions quelques soupçons…
Depuis quelques mois déjà, (comme on a pu le découvrir dans le journal France-Antilles du mardi 10 janvier 2017), de beaux week-ends nous attendent, qu’il pleuve vente ou fasse grand soleil, si toutefois nous avons pris soin de nous inscrire à ce que j’aime nommer les « Rando-Écriture », proposées par trois sœurs bienveillantes, toutes trois compétentes et chaleureuses, toutes trois habitées par l’âme de leur île, l’une plus mûre et plus posée, l’autre pétillante et si souriante, la dernière primesautière et traversée toujours par une « chanson-pays », que parfois on sait avec elle fredonner. Oui, vous les aurez vite reconnues, et je les donne ici comme un tiercé gagnant, mais dans le désordre : ce sont bien Fabienne, Véronique, et Isabelle Kanor. De deux d’entre elles je connaissais livres et films, d’elles toutes je sais à présent la générosité et la profonde humanité, la capacité à donner aux autres, à « partager avec ». Le désir aussi de nous faire cheminer sur leurs pas, de nous guider sur les sentiers de la poésie et de la vérité, qui sommeillent en chacun de nous.
De cette initiative justement dite Ateliers de la Traaace, (oui, avec trois « a », ceci n’est pas un bug !), voici un petit extrait de la présentation, que vous retrouverez sur le site lanoiraude.org : De janvier à juin, partout en Martinique, nous allons prendre les chemins buissonniers pour libérer notre créativité ! Deux ateliers gratuits de création populaire vous attendent : Écriture créative en itinérance, et Création filmique en médiathèque. Par monts et par vaux, à découvert sur le sable des plages ou dans le secret touffu de la mangrove, au coeur intime des villes ou sur les routes mystérieuses qui les relient, et jusque dans l’univers d’un musée enceint d’œuvres originales, venues d’au-delà des mers ou sécrétées par l’île, en petit groupe nous marchons. Quand vient la pause, nous écoutons les textes lus, qui nous parlent des Antilles et du monde, et puis, riches de mots entendus, vus et recueillis, nous nous lançons dans l’écriture, notre imagination sollicitée par quelque consigne toujours claire et bienvenue. Si nous le voulons, et seulement si, nous faisons part aux autres de ce que nous avons, en un temps prédéfini, jeté sur la page blanche qui appelle et interpelle. Un dernier mot me vient, qui qualifie ces moments empreints de grâce, ces instants éphémères où l’on oublie un peu la marche cahotante de la planète, et ce sera l’adjectif « lumineux ».
Lire et faire lire, permettre de découvrir les auteurs, anciens ou nouveaux, telle est la mission d’une bibliothèque publique. Dans ce contexte s’inscrit l’initiative de la Bibliothèque Schœlcher à Fort-de-France, qui proposait ce vendredi un premier Cercle de Lecture, répondant ainsi au désir de Véronique Taveau-Sempé, venue de la banlieue lyonnaise, où pendant dix ans elle a participé à ce genre d’expérience. Sous l’égide de Guylène Grégoire, Responsable du Fonds Général, de Ernest Yerro, Responsable du Fonds Antillais, et de l’écrivain martiniquais Louison Cazal, dont le dernier ouvrage intitulé L’Archipel des Nomades fut sélectionné au Prix Carbet des Lycéens, un tout petit groupe, exclusivement féminin, put échanger autour d’une liste de livres préalablement établie. Ainsi, Véronique nous communiqua sa passion pour Raphaël Confiant, qu’elle découvrit avec émerveillement il y a trois ans, à son arrivée en Martinique ; elle nous dit combien la ravissait L’Allée des Soupirs, qu’elle lit et entend comme une chanson. Louison si disert nous emmena bien loin, à la rencontre de Camus, Proust ou Kundera. Quant à moi, j’eus loisir de rendre compte de ma « lecture-affrontement » avec le prix Goncourt 2016, Chanson douce, de Leïla Slimani. En toute simplicité furent aussi abordées quelques « grandes » questions : Existe-t-il des méthodes de lecture, et quelles sont-elles ? Lit-on en anticipant ou par rétroaction ? Les jurés du prix Goncourt privilégient-ils le style aux dépens de l’histoire ? Le plus important est-il l’histoire ou la façon dont elle est narrée, sachant que, comme il fut dit dans La Grande Librairie de François Busnel, depuis Shakespeare toutes les histoires ont été écrites, que peut-être l’important est l’angle et le point de vue adoptés, et qu’enfin, comme l’assénait si bien Louis-Ferdinand Céline, si vous voulez des histoires, vous n’avez qu’à acheter la presse ?
Il existe certainement d’autres actions dont il serait bon de parler, tant il est vrai que, par la lecture ou l’écriture, toute vie trouve une autre voie, une intensité très belle et sans cesse renouvelée !
Janine Bailly, Fort-de-France, le 20 mars 2017