— Par Yves-Léopold Monthieux
Dans le débat qui oppose parfois votre serviteur à Raphaël Confiant, les amis de l’écrivain ont décelé la preuve de son imprudence d’accepter d’échanger avec quelqu’un qui n’est pas de la famille. L’un d’eux avait pu écrire qu’il est dangereux de laisser entrer « le loup dans la bergerie », comme s’il y avait quelque chose de corrosif pour les cervelles marxistes à les exposer à des idées différentes. Le « fous-le dehors ! » de certains d’entre eux traduit l’inaptitude de notre démocratie au débat public. Jamais ou presque, à part Confiant lui-même qui est sur tous les fronts, il n’est répondu au fond des contrechroniques publiées dans Montraykréyol, ne fut-ce que dans la rubrique « commentaires » du site. Je me félicite que quelques contradicteurs se manifestent par courrier privé. Lorsque c’est possible, on s’échange quelques mails. Sinon, on est dans l’intox, pas dans le débat !
« Tu dis vrai, mais qui es-tu et d’où te vient le droit de dire ? »
Les réticences à réagir s’observent aussi à l’égard des autres intervenants détenteurs de bloc-notes sur le site. Cette timidité s’est toujours vérifiée ailleurs, notamment dans ANTILLA dont le directeur n’a jamais réussi, comme il le souhaitait, à organiser des débats parmi les nombreux intellectuels qui lisent l’hebdomadaire. Une confrontation avait été possible entre Confiant et moi (déjà !), il y a plus de dix ans. Cet exercice démocratique n’a jamais été poursuivi. Au contraire, certains d’entre eux, plus aptes à donner dans le clanisme, sacrifient volontiers au sectarisme et l’exclusion. Rarement l’allégorie du doigt-qui-montre-la-lune n’est aussi pertinente que lorsqu’elle est appliquée à la démarche des intellectuels martiniquais. « Tu dis vrai, peut-être, mais qui es-tu et d’où te vient le droit de dire », se demande-t-on ? Sauf que ceux qui s’arrogeraient le droit de dire ne disent pas.
A la lecture de ma contrechronique « Les activistes panafricanistes échappent à leurs sorciers », certains amis de Raphaël Confiant, trop pressés d’établir un fossé entre lui et moi, n’ont pas voulu comprendre que l’article visait à démontrer que les adeptes du discours de rupture avaient préparé le terrain propice à la survenue de mouvements activistes. Je n’ose croire qu’ils se soient reconnus dans le propos et attendent que l’écrivain leur fasse justice en coupant le « doigt » qui écrit ces choses. Pourtant loin d’être le ventre de l’article, le paragraphe concernant l’écrivain est un quasi « hors sujet » qui a été ajouté après que, sur le point d’achever le sujet initial, votre serviteur a pris connaissance de sa « critique indépendantiste de l’activisme noiriste ».
Lorsqu’un indépendantiste critique d’autres indépendantistes, qu’y a-t-il de scandaleux que le chroniqueur ou l’éditorialiste s’en étonne et cherche à savoir le motif de la discordance ? En effet, on peut s’interroger sur le quiproquo idéologique où une personne libre peut se retrouver entouré d’amis ou de confrères politiques qui orchestrent sa pensée de façon dissonante. Par ailleurs, entre les adeptes de la dictature du prolétariat qui n’ont d’yeux que pour Cuba, et celui qui se réfère aux îles Seychelles, à l’île Maurice ou à Barbade, la discordance n’est pas mince.
La situation d’hétéronomie de la Martinique n’a pas varié au fil du temps
Ainsi donc, la prise de distance de Confiant par rapport à l’idéologie marxiste le conduit de façon implicite à se définir négativement par rapport aux modèles prônés par ses amis. A entendre le silence qui entoure cette contradiction idéologique majeure, on ne jurerait pas qu’on soit dans un monde d’intellectuels. Enfin, est-il besoin de jouir d’une liberté d’esprit exceptionnelle pour contester un point de vue, même si les analyses politiques de son auteur sont d’ordinaire pertinentes ? Toujours ce complexe qui interdit la moindre allusion critique aux idées qui viennent d’en haut. Raphaël Confiant estime donc que les équipées des activistes « noiristes », comme il dit, font obstacle à la revendication indépendantiste en ce qu’elles effrayeraient l’électeur martiniquais. Votre serviteur ne partage pas cette opinion, car il estime que le sort de la Martinique ne dépendra pas du choix démocratique du peuple mais très certainement d’une décision qui lui échappera. Il en va de sa situation d’hétéronomie qui n’a pas varié au fil du temps, ce que seule une lecture complaisante de l’histoire voudrait faire croire qu’il en fût autrement en 2010, 1983, 1946, et même en 1848 !
L’admirateur de Césaire, qui l’a reçu plusieurs fois, n’en a pas pour autant abdiqué sa liberté. Il a publié Aimé Césaire la traversée paradoxale du siècle, le seul essai critique écrit sur l’homme politique par un Martiniquais. L’exercice lui avait valu l’animosité des admirateurs inconditionnels du Nègre fondamental. On ne sache pas que les lettrés qui entourent l’écrivain aient pris la plume pour défendre celui-ci. Par ailleurs, même s’il y a de l’incompris chez ce génie de la plume, et du désagréable chez le mové chaben, les thuriféraires d’Afarel ne lui sont pas de bon soutien en ingurgitant sans discernement ses préceptes.
Fort-de-France, le 11 mars 2020
Yves-Léopold Monthieux