— Par Madeleine de Grandmaison —
Aucun Martiniquais ne devrait être insensible à ce qui se passe au niveau de notre système éducatif. Je dis notre car, comme tous les acquis sociaux, nous l’avons gagné et nous les payons d’une façon ou d’une autre, et de l’éducation, de l’instruction, de la formation, nous en avons le droit.
– L’esclavage n’avait pas droit à l’instruction
– L’esclavage évangélisé (christianisé) bravait son maître pour aller à la messe, au catéchisme et autres moments d’enseignement, les recueils de textes religieux, parce qu’ils pouvaient, d’une certaine façon, ouvrir les portes de la connaissance ou donner envie d’en savoir plus, étaient plus que suspects et Dieu sait si « l’évangélisation » des esclaves et des peuples coloniaux n’est pas ma tasse de thé, il faut se souvenir que bien des prêtres, un tant soit peu progressistes, se sont trouvés en butte avec les hiérarchies et plus près d’eux, les autorités locales, maîtres, représentants de la puissance coloniale…
Si nous revenons à notre problème, la Martinique a mis près d’un siècle pour se voir doter d’un système éducatif, un tant soit peu structuré. Dans les années cinquante, on pouvait dénombrer quelques écoles primaires en nombre insuffisant, des kyrielles d’enfants, après 14 ans et même avant, dans « les petites bandes » quelques collèges d’enseignement général, un « pensionnat colonial » devenu Lycée de Jeunes Filles le Lycée Schoelcher et voilà tout ce dont disposait la Martinique. Et alors, un ou deux élèves d’une promotion (école primaire plus CEG) avaient accès au secondaire (seconde, première et terminale). Cela a été mon cas.
Octobre 1955, de ma promotion, j’ai été la seule jeune fille, prix d’excellence en classe de troisième, à être admise en 2de du Pensionnat colonial. Places limitées ! et mon camarade de promotion, Pavius Albert, le seul garçon admis au lycée technique ! Etait-ce déjà un lycée ?
A-t-on analysé nos besoins pour former et créer ?
Cette fausse sélection a duré encore des années. En 1963, étudiante à Bordeaux, j’ai dû faire ma jeune soeur partager ma chambre d’étudiante pour bénéficier d’un enseignement au-delà de la classe de troisième. Elle est ainsi passée du collège Perrinon au lycée de Talence et ses camarades, bon nombre pas plus « bêtes », sont restées sur le tapis.
400 suppressions de postes et nombre de filières en deux ans pour une population de 400 000 habitants à peine. Calculons ce que cela ferait comme suppressions de postes et filières dans l’hexagone.
Qui peut accepter cela ? Sur quelle étude prospective repose tous ces bouleversements ? Sur quelles options de développement ? Quelles corrélations enseignementformation professionnelle . Quelle coopération régionale ? Voilà quelques questions que nous devrions nous poser en ces heures sombres pour l’avenir de nos enfants et pour le développement de notre pays.
Dans ce contexte, il n’y a pas de doute que nous allions vers la pauvreté, nous ne sommes pas à l’abri d’émeutes de la faim, notre production ne nous nourrit pas et nous sommes otages du fret le plus cher du monde. Nous sommes alignés, sans en avoir l’air, sur le régime imposé par le FMI aux pays en voie de développement. Pas de programme structurel pour la jeunesse, les femmes, pour la …, pour l’agriculture de subsistance et de surcroît, pour nous, l’isolement dans la Caraïbe. Nous ne serons même pas des pourvoyeurs d’ingénieurs, de techniciens, de cadres pour les industries dans la Caraïbe, pour la reconstruction d’Haïti, ou autres îles, ou pour le gaz et le pétrole de Trinidad, voire même de Guyane. Et quant à l’embryon d’industrie que nous avons ici, il se fournit en ouvriers et cadres en France ! Pour l’élève que j’ai été et l’adulte que je suis devenue, combien d’enfants talentueux sont passés à côté de leurs aspirations ? Et aujourd’hui, on va refermer toute perspective pour cette génération et celle à venir si nous laissons faire.
C’est tout simplement inacceptable. Elue régionale de 1983 à 2010, avec des responsabilités au titre de la culture et de l’éducation, j’ai participé en l’équipement de la Martinique en lycées. Professeur de biologie-géologie, pendant 37 ans, je me sens concernée, comme au premier jour, par cette évolution négative de notre système éducatif, voire ce qui pourrait être considéré comme… universelle, l’éducation, au sens large du jeune demeure la première voie d’émancipation de l’homme et la pierre d’angle de la construction du pays.
Et ne parlons pas d’enseignement technique, d’accès encore plus limité à cette époque. Il n’y a pas de doute qu’un système éducatif à large spectre, aurait pu nous fournir des médecins oui, des avocats oui, des professeurs oui, mais aussi les ingénieurs, les techniciens, les ouvriers spécialisés qui auraient assuré l’industrialisation, et plus largement, le développement de la Martinique.
On démantèle alors qu’il faudrait restructurer
Aujourd’hui, après une succession de réformes, appliquées automatiquement, sans recherche d’adéquation aux spécificités et aux besoins du pays, on en vient à supprimer des filières, celles-là mêmes dont ont aurait besoin pour un vrai développement et pour entrer dans la modernité : filières industrielles par là, technologiques par ci, électroniques, en passant lettres et autres sciences nouvelles, sous le prétexte de baisse d’effectifs. Ceci, au moment même où, depuis la décentralisation, les Martiniquais ont fait surgir quelques lycées. A-t-on analysé nos besoins pour former et créer, mieux adapter à ces besoins, quelles prospectives ?
Nous sommes au coeur d’un arc insulaire, nous avons la prétention de créer des marinas, des ports de plaisance. Voilà des décennies qu’un bassin de Radoub se meurt. Où sont les spécialistes, les ouvriers que nous avons formés en prévision de ces métiers et industries liés à la mer, et plus largement, au nautisme ? Avec l’ouverture du Canal de Panama, quelle formation de la relève en technicité, en langue étrangère ? Où est la main-d’oeuvre d’une filière industrielle à laquelle on ne peut définitivement renoncer ? La fermeture de filières, ne devrait pas simplement obéir à un manque d’effectif, mais à une inadéquation aux besoins et dans ce cas, quels sont les besoins et prévoir les ajustements nécessaires. On démantèle alors qu’il faudrait restructurer. Pendant les quatre dernières décennies, on a formé des bacheliers, des diplômés sans s’inquiéter de leur devenir. Beaucoup sont aujourd’hui même bien instruits, au chômage dans un pays au développement bloqué, de quelque côté que l’on regarde (agriculture, industrie, pêche, élevage…) inondés… et maintenant, on s’apprête, sur les dix ans à venir, à livrer à la rue des jeunes qui n’auraient même pas la maigre satisfaction d’être diplômés ou même simplement instruits pour en dernier lieu affronter le monde. Nous reculons de cinquante ans.
Aujourd’hui, après une succession de réformes, appliquées automatiquement, sans recherche d’adéquation aux spécificités et aux besoins du pays, on en vient à supprimer des filières, celles-là mêmes dont ont aurait besoin pour un vrai développement et pour entrer dans la modernité.
Madeleine de Grandmaison