— Par Nicaise Monrose, maire de Sainte-Luce —
C’est désormais une évidence : une autre agriculture est souhaitable et attendue.
L’enjeu de cette autre agriculture n’est plus seulement la diversification de la production pour l’autosuffisance alimentaire.
Les enjeux sont aussi désormais : la modification des pratiques culturales par l’agroécologie ; la vitalité des territoires ruraux ; la résilience face au changement climatique ; l’identité et la qualité de l’offre alimentaire et malheureusement… la disparition à bas bruit de la paysannerie martiniquaise.
Étude après étude, enquête après enquête, le désir de la population en faveur d’une autre agriculture se confirme.
Face à cette évidence, les autorités publiques semblent prendre position.
En réponse, sans doute préoccupé par la contestation du « modèle agricole » qui a cours à la Martinique, l’État n’hésite plus à reprendre à son compte le mot d’ordre « d’autonomie alimentaire ». Une révolution…
Le président du Conseil exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique, dans son discours devant l’Assemblée de Martinique du 5 mai 2020, affirmait que « la réflexion sur un nouveau modèle de développement est incontournable »…
Dès l’année 2000, la Chambre d’agriculture de Martinique organisait un colloque caribéen sur le thème de « l’Agriculture autrement ».
Avec ses faibles moyens, la Chambre consulaire n’a cessé depuis d’approfondir cette option, tant dans son activité de conseil et de formation, que dans ses propositions de politique agricole. En 2012, dans sa communication à l’adresse des candidats aux élections législatives, elle proposait déjà les voies et moyens pour un « nouveau paradigme agricole », qu’elle a reprécisé récemment dans ses orientations de travail 2020/2025.
Un soutien public massif à la banane
Dans le même temps, la Chambre a conceptualisé, avec l’appui de l’INRAE (l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et de l’Académie Agricole de France, une approche de l’agriculture agroécologique de petite échelle, qui pourrait singulariser ce nouveau paradigme agricole.
Chacun sait que la monoculture de banane, destinée à l’exportation, concentre à son profit l’essentiel du soutien public à l’agriculture. Pour exemple, sur 115 M d’aide européenne (POSEI), la banane en capte 96 M en 2019, soit à elle seule 83 % de l’enveloppe.
Dans les années 60/70, dans un contexte de déprise agricole due à la crise cannière, la culture de banane s’est imposée dans le paysage agricole de la Martinique, avec sa capacité à fournir de l’emploi agricole et à satisfaire en même temps, la rémunération du capital foncier. C’est là, l’origine du soutien public massif à la monoculture de banane, qui a encore cours aujourd’hui.
Les intérêts des pouvoirs publics, à la recherche de solutions pour le maintien de la main d’oeuvre rurale, ont rencontré ceux des propriétaires fonciers, au prix d’un usage intensif de pesticides dont la chlordécone. On en connaît les conséquences.
La politique agricole et donc l’affectation des financements publics, est le produit de « l’activisme » croisé des différents acteurs de l’alimentation : agriculteurs, salariés agricoles, propriétaires fonciers, coopératives agricoles, défenseurs de l’environnement, importateurs, distributeurs, consommateurs, financiers, pouvoirs publics…
Les autorités publiques disent aujourd’hui, vouloir pour la Martinique la « transformation agricole dans un objectif de souveraineté alimentaire d’ici 2030 ». Une autre révolution…
L’État lance pour ce faire, un « plan de relance et de transformation », doté de moyens financiers. Cette nouvelle orientation marquera-t-elle un déplacement du curseur de la politique agricole vers d’autres cultures et d’autres systèmes de production et donc vers une autre agriculture ? Rien n’est moins sûr.
Il n’y a aucune raison de penser que le jeu des acteurs et les mécanismes qui en déterminent l’issue actuellement, vont naturellement cesser.
Autosuffisance alimentaire
Il est vraisemblable que « l’agriculture capitalistique » qui n’est pas attachée en soi à un produit mais au revenu tiré de l’exploitation du capital foncier, actionnera les leviers de son traditionnel lobbying pour faire valoir sa supériorité présumée et son aptitude supposée à satisfaire rapidement l’objectif d’autonomie alimentaire affiché aujourd’hui par les pouvoirs publics. « Avec un petit millier d’hectares en culture hors sol, nous pouvons avoir une autosuffisance alimentaire », liton déjà…
Un projet de société
Les nouvelles lignes budgétaires ouvertes, pourraient ainsi s’avérer être en définitive, de nouvelles opportunités de valorisation du patrimoine foncier, avec entre autres, l’implantation de serres et n’aboutir à aucune « transformation » véritable de l’agriculture. Le principe du guichet « premier arrivé, premier servi » retenu pour le plan de relance, favorisera cette logique.
Le gouvernement annonce vouloir la « transformation de l’agriculture »…
Pour y parvenir, il n’est certes pas nécessaire de supprimer la monoculture de banane, au risque de fragiliser l’ensemble du dispositif agricole, pour une issue incertaine. La « transformation de l’agriculture » est sans doute plus exigeante.
Elle suppose un ciblage de l’investissement public, sur des leviers d’une autre agriculture.
Ceux-ci sont multiples : rendre compatible le dispositif officiel de soutien à l’installation avec les nombreux projets innovants de jeunes agriculteurs ; reconnaître les nombreuses innovations organisationnelles initiées par les agriculteurs eux-mêmes ; soutenir les nouvelles voies de commercialisation ; développer les marchés de producteurs ; ouvrir un accès réel aux dispositifs d’aides à l’investissement, au plus grand nombre avec notamment la mise en place d’une ingénierie financière audacieuse et adaptée ; soutenir et encourager la reconquête des friches agricoles ; prendre en compte au même niveau, l’ensemble des systèmes de production agricole ; initier un programme d’équipement des espaces ruraux ; démocratiser l’irrigation ; inventer des mécanismes de soutien adaptés aux exploitations de petite dimension ; mettre en place des aides directes qui soutiennent l’acte de production, pour les exploitations de petite échelle ; supprimer le stabilisateur appliqué sur les aides à la commercialisation des produits destinés au marché interne ; mettre en oeuvre un programme de recherches de références techniques pour les pratiques agroécologiques ; renforcer la communication du secteur agricole ; contrôler et réguler le marché interne ; maîtriser les flux d’importation ; encadrer les marges de distribution sur la production locale…
Plus que toute autre activité, l’agriculture est le produit d’un projet de société.
Nul doute que les Martiniquais appellent de leurs voeux, une agriculture compatible avec les attentes de la société actuelle : une agriculture écologique, socialement juste, répondant à la quête d’identification de la population avec sa production alimentaire et qui poursuit un autre objectif que l’enrichissement patrimonial par la rente, générateur de tensions sociales pénalisantes pour le progrès collectif.
Nicaise Monrose, maire de Sainte-Luce