— Par Marie-Laurence Delor(*) —
Il faut être clair: ceux que les électeurs de Fort-de-France auront choisis aux échéances de 2020 pour être à la tête de l’administration de la ville se trouveront face aux mêmes difficultés que l’actuelle édilité. Les vraies questions sont par conséquent comment sortir de la spirale de l’endettement cumulé et comment revenir à l’équilibre budgétaire? On ne saurait prétendre répondre de manière exhaustive dans le présent texte. Le propos se limitera à poser très simplement, le plus souvent de manière factuelle, les termes du débat. 1/ identification des principales raisons de « l’impasse budgétaire » 2/ évaluation synthétique de l’efficacité de la communication des oppositions sur la question 3/ l’urgence d’une nouvelle offre politique pour fonder la critique et contenir la débâcle.
1. Identification des principales raisons de « l’impasse budgétaire »
Pour comprendre les principales raisons de « l’impasse budgétaire il faut, selon nous, considérer à la fois le contexte et les choix politiques:
-
Le contexte. On notera d’abord, au niveau macro-politique, la fin de l’Etat Providence amorcée sous la présidence de J.CHIRAC et en cours d’achèvement sous celle E. MACRON. Parallèlement et dans la même période on observe un infléchissement de la politique de Bruxelles lourd d’incertitudes pour les régions dite « ultra périphériques »; infléchissement qui n’est pas sans rapport avec l’intégration de nouveaux Etats membres, notamment ceux des pays d’Europe de l’est. La crise financière en Europe de ces 10 dernières années parachève le tableau. Il y a ensuite, au cours de ces 30 dernières années, au niveau micro ou local, les mutations démographiques, sociologiques et économiques de Fort de France avec une incidence négative significative sur les recettes fiscales et le budget social.
-
Les choix politiques. Le contexte, on peut aisément l’admettre, invitait à la prudence et à la réflexion approfondie dans la mise en place de la politique financière et des options de gestion de la ville. On peut donc affirmer, au vue des décisions arrêtées, qu’il y a eu indiscutablement un manque de discernement coupable que traduit parfaitement l’inspiration dominante de la politique municipale à Fort-de-France à partir de 2001. La primauté a été donnée au grand chantier de la fabrique de la notoriété du nouveau chef de l’édilité et nouveau chef du parti de la majorité. Il fallait en faire l’interlocuteur privilégié, voire exclusif de Paris, Bruxelles et des Etats de la Caraïbe. Tout y a été soumis et singulièrement les choix financiers et gestionnaires. L’objectif était alors de créer de toute pièce, et quoi qu’il en coûte, l’image ou plutôt l’illusion d’une ville en pleine renaissance, en plein essor et partant d’un leader jeune, volontaire et efficace. Nous avons eu ainsi droit à une politique tapageuse et dispendieuse: grands travaux brouillons et incohérents, dépenses somptuaires inconsidérés… L’objectif n’était désormais plus vraiment le « bien commun ». Fort-de France était rendu au rôle de tremplin, de prétexte pour la carrière du successeur du « Nègre fondamental ».
2. La communication des oppositions
-
Le premier constat est que les ’oppositions ont été jusqu’ici peu audibles sur ce qu’elles ont trop longtemps considéré être le front principal: la bataille des chiffres. le problème est que la majorité municipale a eu peu de mal à neutraliser des observations pourtant justifiées en jouant sur la croyance populaire selon laquelle « les dépenses ostensiblement somptuaires sont la meilleure preuve de bonne santé financière »: 200 000 euros pour les « Boucans », 300 000 pour le carnaval; qui prétend que tout va mal?
-
Le second constat est la forte dépolitisation à Fort-de-France, particulièrement des classes populaires désenchantées et découragées et corrélativement l’absentéisme massif notamment aux élections municipales: rappelons qu’on est passé de 45,38% d’abstention en 2001 à 56,38% en 2008, puis à 58,94% en 2014.
Ces deux constats sont la preuve d’un échec de la communication des oppositions. Elles n’ont pas réussi à se faire entendre parce qu’elle n’ont pas su renouveler leur projet et les équipes pour les porter. Un peu comme si on attendait que l’adversaire s’effondre sous le poids de ses propres contradictions et insuffisances. Les choix arrêtés dans le cadre d’une politique municipale, en particulier dans les domaines financier et gestionnaire, ne prennent sens et cohérence que par le projet et l’équipe qui la porte. Il en est de même de la critique. Il n’est pas inutile de dire à ce niveau de notre raisonnement qu’il y a déjà, de fait, une sorte de mise sous tutelle anticipée de toutes les collectivités territoriales de « France et de Navarre », aggravée par « l’ultra périphérie »; ceci, depuis les récentes dispositions concernant les dotations et leur consommation.
3. Une nouvelle « offre politique » pour sortir de l’impasse
Fort de France a perdu son identité de Ville. C’est cette donnée fondamentale qui devrait articuler la nouvelle offre politique à partir de laquelle il y aura à repenser les fonctions d’une ville, l’organisation de l’espace et plus généralement les modalités du « mieux vivre ensemble », autrement dit une nouvelle politique municipale. Il ne s’agit plus de « changement », comme nous l’avons un temps cru, mais de « construction »…
Nous entendons par « offre politique » l’ensemble indissociable constitué par un projet et une équipe.
L’équipe. Nous plaidons pour une équipe largement citoyenne avec une femme à sa tête. C’est un gage, selon nous, pour ceux dont les votes vont déterminer l’issue des élections et qui sont dans l’attente d’un sursaut, d’une relève, d’une parole neuve. Je parle des classes moyennes et des femmes; de ceux donc sur lesquels repose le plus lourdement, le poids de la crise en général, du naufrage municipal en particulier.
Le Projet. Le mot d’ordre doit signifier une vraie rupture avec le modèle actuel, un nouveau paradigme intelligible pour le plus grand nombre. Il devrait se résumer, selon nous, à cette formule : « Construire ensemble une identité de ville créole de taille moyenne raisonnablement ouverte à la modernité ». C’est en d’autres termes une exhortation à sortir de l’emphase et du mimétisme et à poursuivre au mieux la mission échue aux générations post-césairiennes.
* Nous avons préféré le terme « d’impasse budgétaire », parce qu’il laisse la possibilité d’une présentation plus large et plus sincère du « déficit budgétaire » – qui n’est que la partie d’un tout- et qu’il répond mieux au souci de mesurer le risque du déséquilibre et la part d’incertitude qu’elle comporte, particulièrement lorsque le déficit budgétaire est cumulé depuis de nombreuses années.
(Fort-de-France, le 23 Mai 2019)
Marie-Laurence DELOR, Élue d’opposition à la ville de FDF