— Par Sabrina Solar —
Le changement climatique exacerbe les inégalités sociales, économiques et de genre, particulièrement dans les zones rurales, où les populations les plus vulnérables, notamment les ménages pauvres et les femmes, subissent des pertes de revenus considérables. Les événements climatiques extrêmes, tels que les vagues de chaleur et les inondations, affectent de manière disproportionnée les populations qui dépendent principalement de l’agriculture pour leur survie, tout en exacerbant les écarts entre les différentes catégories sociales et les sexes.
Les effets du changement climatique sur les revenus des ménages pauvres.
La baisse des revenus des ménages pauvres
Selon un rapport détaillé de la FAO, les ménages pauvres connaissent une diminution significative de leurs revenus en raison du stress thermique et des inondations. En moyenne, les ménages les plus pauvres subissent une perte de 5 % de leurs revenus en raison du stress thermique et de 4,4 % à cause des inondations, par rapport aux ménages plus aisés. Cette différence est particulièrement marquée dans les zones rurales, où les ménages pauvres dépendent davantage des rendements agricoles. En effet, les inondations et les vagues de chaleur peuvent entraîner une perte de 21 milliards d’USD par an en raison des inondations et de plus de 20 milliards d’USD en raison de la chaleur excessive.
La dépendance accrue à l’agriculture
Le réchauffement climatique, en particulier l’augmentation des températures, aggrave la dépendance des ménages pauvres à l’agriculture, une activité extrêmement sensible aux conditions climatiques. Une hausse de 1°C des températures moyennes entraîne une augmentation de 53 % des revenus agricoles des ménages pauvres. Cependant, cette hausse est accompagnée d’une réduction de 33 % de leurs revenus non agricoles, comparativement aux ménages plus riches. Les ménages les plus pauvres, qui dépendent presque exclusivement de l’agriculture, sont ainsi plus vulnérables aux fluctuations climatiques, avec moins d’opportunités de diversifier leurs sources de revenus.
L’impact différencié sur les femmes et les ménages dirigés par des femmes
Des pertes de revenus plus importantes pour les femmes
Les femmes, particulièrement celles qui dirigent des ménages, sont également particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique. Selon les données de la FAO, les femmes subissent une baisse de 8 % de leurs revenus en raison du stress thermique et de 3 % à cause des inondations, par rapport aux hommes. Cette situation s’aggrave avec l’augmentation des températures, une hausse de 1°C des températures moyennes entraînant une réduction de 34 % du revenu total des ménages dirigés par des femmes par rapport à ceux dirigés par des hommes. Les femmes, qui sont souvent responsables de la gestion de l’alimentation et de l’approvisionnement familial, perdent non seulement des opportunités de diversifier leurs revenus, mais elles sont également plus dépendantes de l’agriculture, d’où une perte accrue de revenus lorsqu’un événement climatique extrême frappe.
Le cercle vicieux de la vulnérabilité féminine
Les femmes investissent généralement plus dans leur activité agricole, souvent par nécessité pour garantir la sécurité alimentaire de leur famille. Toutefois, cette dépendance accrue à l’agriculture les rend particulièrement vulnérables aux pertes de rendement causées par les événements climatiques. De plus, les femmes ont moins d’opportunités d’accéder à des emplois non agricoles en raison de contraintes sociales et géographiques. Elles sont souvent confinées dans des zones rurales éloignées, loin des centres urbains où les emplois sont moins affectés par les aléas climatiques. Cela crée un cercle vicieux où les femmes, confrontées à une perte de rendement agricole, sont incapables de diversifier leurs sources de revenus et subissent ainsi une plus grande perte économique que les hommes.
L’impact des changements climatiques sur les Jeunes et les Ménages Dirigés par des Jeunes
Une situation plus favorable pour les ménages dirigés par des jeunes
Contrairement aux ménages dirigés par des adultes plus âgés, les ménages dirigés par des jeunes bénéficient d’une légère augmentation de leurs revenus. En effet, les jeunes ménages voient leurs revenus augmenter de 3 % en raison des inondations et de 6 % en raison du stress thermique. Cette différence s’explique en partie par la plus grande mobilité des jeunes, qui peuvent plus facilement se déplacer pour trouver des emplois non agricoles dans d’autres régions, en dehors du secteur agricole.
Les ménages ruraux jeunes et la diversification des revenus
Les ménages ruraux jeunes, notamment dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, bénéficient de revenus supplémentaires grâce à des activités extérieures à l’agriculture, comme les activités artisanales ou les petits commerces. Ces revenus non agricoles s’élèvent à environ 47 milliards d’USD chaque année pour ces ménages, une somme bien plus élevée que celle des autres ménages ruraux. Toutefois, cette augmentation des revenus reste insuffisante pour compenser pleinement les pertes agricoles liées aux événements climatiques.
Les manques dans les politiques climatiques et les discriminations structurelles
La faible prise en compte des vulnérabilités rurales dans les politiques climatiques
Les politiques climatiques actuelles, tant au niveau national qu’international, ne prennent que rarement en compte les spécificités des populations rurales, en particulier celles des femmes, des jeunes et des plus pauvres. Une analyse des 4 164 mesures proposées dans les Contributions déterminées au niveau national (CDN) et les plans d’adaptation de 24 pays révèle que seulement 6 % mentionnent les femmes, 2 % évoquent les jeunes et moins de 1 % font référence aux pauvres ou aux agriculteurs des communautés rurales. Cela traduit un manque de reconnaissance des enjeux spécifiques de ces groupes, qui sont pourtant les plus vulnérables face aux effets du changement climatique.
Le manque de financement pour l’adaptation au changement climatique
Le financement de la transition climatique reste insuffisant pour soutenir l’adaptation des populations vulnérables. Selon la FAO, seulement 7,5 % des fonds alloués à l’action climatique sont destinés à l’adaptation au changement climatique, et moins de 3 % à l’agriculture et aux secteurs connexes. De plus, une part infime de ces fonds atteint les petits producteurs, qui sont pourtant les plus dépendants des conditions climatiques pour leurs revenus.
Vers une transition climatique équitable : propositions de la FAO
Renforcer les mesures de protection sociale et d’adaptation
Pour corriger cette situation, les experts de la FAO préconisent l’intégration de mesures de protection sociale adaptées aux vulnérabilités spécifiques des groupes concernés. Cela inclut l’accès à des financements pour des technologies agricoles résilientes, comme des semences améliorées et des systèmes d’irrigation, ainsi que des services de vulgarisation et d’assistance technique. Ces services, actuellement réservés aux plus grands propriétaires fonciers, doivent être accessibles à tous, y compris aux petits agriculteurs, afin de renforcer leur résilience face aux aléas climatiques.
L’importance de la lutte contre les discriminations
Il est également essentiel de lutter contre les discriminations structurelles liées au genre et à la classe sociale. Les femmes et les jeunes doivent être pleinement intégrés dans la prise de décision et la mise en œuvre des politiques climatiques. Cela nécessite de repenser la manière dont les informations sur les risques climatiques et les solutions d’adaptation sont partagées et accessibles, afin que ces groupes puissent bénéficier de mesures de protection et de soutien équitables.
Un défi global pour la cohésion sociale
Les inégalités amplifiées par le changement climatique ne touchent pas seulement les pays en développement, mais constituent un problème global qui fragilise la cohésion sociale à l’échelle mondiale. Selon François Gemenne, spécialiste des migrations climatiques, l’accroissement des inégalités sociales pose la question de la « rupture sociale », rendant les sociétés plus vulnérables aux crises. Pour garantir une transition juste et inclusive, il est impératif de renforcer les politiques d’adaptation aux impacts du changement climatique, en mettant un accent particulier sur les groupes les plus vulnérables : les femmes, les jeunes, les pauvres et les populations rurales.
D’après le rapport de la FAO : Un climat injuste. Mesurer l’impacts du changement climatique sur les pauvres, les femmes et les jeunes des zones rurales »