L’illettrisme en Martinique : un défi majeur pour l’insertion sociale et professionnelle

En Martinique, l’illettrisme et les difficultés liées à la maîtrise de l’écrit et du calcul constituent des enjeux sociaux et économiques majeurs. Selon une étude récente menée par l’Insee, environ 13 % des adultes martiniquais âgés de 18 à 64 ans sont confrontés à des difficultés face à l’écrit, dont 9 % rencontrent des difficultés considérées comme fortes. Les problèmes en calcul, quant à eux, touchent 21 % de la population adulte. Ces chiffres sont révélateurs d’une fracture importante qui a des répercussions sur la vie quotidienne, l’accès à l’emploi et les opportunités de formation dans l’île.

Des difficultés à l’écrit et en calcul : un handicap majeur

Les compétences en littératie (lecture, écriture et compréhension de texte) et en numératie (calcul) sont des compétences fondamentales, non seulement pour comprendre les informations nécessaires à la vie quotidienne mais aussi pour réussir sur le marché du travail. En Martinique, les personnes rencontrant des difficultés dans ces domaines sont largement désavantagées. En effet, parmi celles qui éprouvent des difficultés à l’écrit, un nombre important se trouve également en difficulté avec les calculs, un phénomène qui accentue leur vulnérabilité sociale et professionnelle.

Les difficultés en écriture touchent 10 % des adultes martiniquais, soit une proportion supérieure à celle observée en France métropolitaine (8 %). De même, les difficultés de compréhension de texte concernent 13 % des adultes de l’île, contre 10 % en France hexagonale. Dans le domaine du calcul, 21 % des adultes martiniquais échouent à réaliser des exercices de calcul simple, un taux bien plus élevé que celui observé en métropole (11 %).

Facteurs influençant les difficultés

Plusieurs facteurs expliquent la prévalence de ces difficultés en Martinique. L’un des éléments clés est la langue maternelle. En effet, parmi les adultes martiniquais rencontrant des difficultés importantes à l’écrit, un tiers d’entre eux sont allophones, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas le français comme langue maternelle. En comparaison, seulement 7 % des adultes dont le français est la langue maternelle rencontrent de telles difficultés. Cette différence est encore plus marquée dans les zones où plusieurs langues coexistent, comme c’est le cas en Guyane où la diversité linguistique accentue les obstacles à la maîtrise de la langue officielle.

Par ailleurs, l’origine sociale et le niveau de diplôme des individus jouent également un rôle déterminant. Les personnes peu ou pas diplômées sont nettement plus susceptibles de rencontrer des difficultés à l’écrit et en calcul. En Martinique, 33 % des adultes sans ou avec un faible diplôme (niveau Brevet des Collèges ou moins) ont des difficultés à l’écrit, tandis que 40 % rencontrent des obstacles en calcul. Ces proportions sont particulièrement élevées comparées à celles observées en France métropolitaine, où elles atteignent respectivement 34 % et 33 %.

L’impact sur l’emploi et la mobilité professionnelle

Les difficultés à l’écrit et en calcul ont également un impact considérable sur l’accès à l’emploi. Selon l’Insee, environ 50 % des adultes en Martinique confrontés à des difficultés dans ces domaines sont sans emploi, un taux nettement plus élevé que celui observé pour les personnes sans telles difficultés. Ce chiffre met en lumière un lien direct entre compétences de base et insertion professionnelle. Les adultes ayant des difficultés à comprendre et à utiliser des informations écrites ou à effectuer des calculs simples se heurtent à des obstacles considérables pour accéder à des postes qui exigent une certaine autonomie, notamment dans les secteurs de la gestion, des services, ou de la logistique.

L’utilisation d’internet, qui est devenue une compétence incontournable pour trouver un emploi, compléter une formation ou effectuer des démarches administratives, est également plus limitée chez les personnes en difficulté. En Martinique, 30 % des adultes en difficulté à l’écrit n’ont pas utilisé internet au cours des trois derniers mois, contre seulement 2 % pour ceux sans difficulté. Ces écarts d’accès aux technologies exacerbent les inégalités, car l’internet est souvent perçu comme un outil clé d’insertion sociale et professionnelle.

La situation dans les quartiers prioritaires

Une autre dimension importante est la situation des quartiers dits « prioritaires » de la politique de la ville (QPV), où les difficultés en littératie et numératie sont particulièrement marquées. En Martinique, les habitants de ces quartiers rencontrent des difficultés à l’écrit et en calcul à des niveaux bien plus élevés que ceux des zones non prioritaires. Dans les QPV, 36 % des résidents ont des difficultés à l’écrit, contre 11 % dans les zones hors QPV, et 42 % ont des difficultés en calcul, contre 20 % ailleurs. Ce constat est d’autant plus préoccupant qu’il reflète un cercle vicieux où des conditions sociales et économiques difficiles limitent l’accès à l’éducation et à des ressources propices à l’acquisition de compétences fondamentales.

Les résidents des QPV sont également plus souvent peu ou pas diplômés. Par exemple, 53 % des habitants des quartiers prioritaires en Martinique n’ont pas de diplôme ou ont un faible niveau de scolarité, contre 22 % pour ceux vivant hors de ces quartiers. Cette forte concentration de personnes peu formées dans ces zones contribue à la reproduction des inégalités sociales et éducatives, et constitue un frein majeur à l’insertion sociale et professionnelle.

Un problème persistant mais en évolution

Il est cependant important de souligner que la situation tend à s’améliorer. Les plus jeunes, notamment les 18-24 ans, présentent un niveau de compétence supérieur à celui des générations plus âgées. En 2022, 86 % des jeunes adultes martiniquais de cette tranche d’âge ont au moins un diplôme de niveau baccalauréat, contre 62 % des 55-64 ans. Cet écart témoigne d’un phénomène générationnel où les nouvelles générations bénéficient d’un accès à une scolarité plus longue et plus qualitative. En parallèle, le français est progressivement devenu la langue maternelle des jeunes générations, ce qui a sans doute contribué à améliorer leurs compétences en littératie et numératie.

Un défi sociétal et économique à relever

L’illettrisme et les difficultés en littératie et numératie restent un défi majeur pour la Martinique. Ces problématiques sont à la fois sociales, économiques et culturelles, et nécessitent des politiques publiques adaptées pour améliorer l’accès à l’éducation, la formation continue et l’intégration professionnelle des adultes en difficulté. La lutte contre l’illettrisme, désormais désignée grande cause nationale depuis 2013, reste une priorité, notamment dans les territoires ultramarins comme la Martinique, où les inégalités sont plus marquées. Dans cette perspective, les dispositifs de soutien et de formation, en particulier dans les quartiers prioritaires, sont essentiels pour permettre à chacun de surmonter les obstacles liés à l’écrit et au calcul, et ainsi favoriser une meilleure insertion dans la société et sur le marché du travail.

 

Sabrina Solar