— Propos recueillis par Sandrine Blanchard —
« Sur la question du racisme et des discriminations, il manque quelqu’un de courageux, un discours clair sur ce que sera la France dans trente ans », estime l’ancien footballeur.
Je ne serais pas arrivé là si…
… si ma mère ne m’avait pas appris quelque chose d’essentiel : on peut décider de sa vie. Et pour y parvenir, il ne faut pas avoir peur de prendre des risques. Elle m’a appris le courage. Quand nous étions jeunes, elle est partie des Antilles pour venir travailler en France alors que certains de ses amis et membres de sa famille lui disaient qu’il était insensé de laisser seuls cinq enfants en Guadeloupe.
Vous et vos frères et sœurs êtes restés un an sans elle à Anse-Bertrand. Quel souvenir en gardez-vous ?
Mon grand frère s’occupait de nous. Je me souviens de l’argent qui arrivait par La Poste. Il regardait ce qu’il y avait pour savoir ce qu’on allait manger. L’année a été remplie de légèreté, je ne me souviens pas d’un manque. Ma mère nous avait promis de revenir nous chercher. J’avais confiance en sa parole. Si elle n’avait pas tenu sa promesse, cela aurait été une catastrophe.
A-t-il été difficile de quitter Anse-Bertrand et l’île de votre enfance ?
Je suis parti le cœur très léger. Prendre l’avion avec ma mère et revivre avec elle, il n’y avait rien de plus fort. Ma mère a une très grande intelligence émotionnelle. Elle nous avait vendu la métropole comme si on partait au paradis. Qui ne veut pas aller au paradis avec sa maman ? Quand nous sommes arrivés à Bois-Colombes, en région parisienne, nous étions tous ensemble, la vie était belle. Nous avons très vite déménagé à la cité des Fougères à Avon, près de Fontainebleau, en 1982, j’avais 9 ans.
Comment était cette cité ?
Tous les bâtiments étaient identiques. Le premier jour, je me suis perdu. C’est en voyant ma mère au balcon que j’ai retrouvé notre immeuble ! Nous étions à côté de la forêt, c’était un espace de jeu incroyable, le paradis. Les enfants de la cité venaient du monde entier : Portugais, Zaïrois, Libanais, Espagnols, Algériens, Pakistanais… J’ai appris à connaître le monde grâce à mes amis. L’école était quasiment dans la cité. Quand je suis arrivé aux Fougères en fin d’année scolaire, ce qui m’a bluffé, c’est la kermesse. Chacun amenait sa spécialité culinaire et était habillé différemment. Ce mélange de cultures a été une chance inouïe.
Vous dites souvent que c’est en arrivant en région parisienne que vous vous êtes interrogé sur votre famille et que vous êtes devenu noir. Pourquoi ?
A l’école, beaucoup de questions surgissent : pourquoi nous sommes cinq enfants de cinq pères différents ; pourquoi ma mère est femme de ménage, alors qu’il y a d’autres métiers ; pourquoi certains camarades de classe m’appellent « La Noiraude », qu’est-ce que c’est qu’être noir ?…
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