— Par François Taillandier, écrivain —
Écouter les mots par François Taillandier. Je voudrais rappeler une différence, trop négligée, entre deux notions : les idées et les idéologies.
Je voudrais rappeler une différence, trop négligée, entre deux notions : les idées et les idéologies. Les idées tiennent compte d’une réalité ; on peut les argumenter, les vérifier, les contester, les rectifier. L’idéologie, en revanche, oublie ou masque la réalité. Louis Althusser la définissait comme étant « un rapport imaginaire à un rapport réel ». Exemple classique : le patron dit que l’entreprise est une famille, et qu’il est le père de ses employés. Vision idyllique, dont il a intérêt à convaincre tout le monde. Mais c’est tout bonnement faux, ce n’est pas une famille et il n’est pas le père. C’est tout ce qu’on peut en dire.
Lorsque des syndicats et des salariés manifestent contre les nouvelles lois sur le travail, ils ont pour cela des motifs et des arguments, ils font valoir les conséquences jugées néfastes de ces lois. On est au niveau des idées.
À l’inverse, quand Jean-Luc Mélenchon clame que c’est « la rue qui a chassé les rois et abattu les nazis », on entre dans l’idéologie. M. Mélenchon, qui invite le président à « consulter l’histoire de France », sait très bien que Louis XVI n’a pas été détrôné par « la rue », mais par la dynamique des états généraux, devenus Constituante, qu’il avait lui-même convoqués et qui étaient élus ; puis par ses propres fautes politiques. Il sait aussi que le nazisme n’a pas été abattu par « la rue ». Il se plaît seulement à convoquer une mythologie révolutionnaire.
Mais le problème de l’idéologie, c’est que le réel est tenace. Ainsi, la République n’a pas été fondée par « la rue » ou « le peuple », mais par Adolphe Thiers, le fusilleur de la Commune, qui, au prix d’une manœuvre parlementaire, se fit attribuer le pouvoir qu’il convoitait. C’est peut-être contrariant, mais c’est ainsi. Et puis enfin « la rue », tout dépend dans quel sens on l’emprunte, et sur quel trottoir. Les émeutes fascisantes de février 1934, c’était « la rue » ; la Manif pour tous, c’était aussi « la rue » ; je ne crois pas que pour autant M. Mélenchon les porte dans son cœur. Y aurait-il une « bonne » rue et une « mauvaise » rue ? Il ne s’agit pas de m’acharner contre le leader des insoumis. J’aurais pu faire la même démonstration, par exemple, à propos des gender studies ou de la thèse du « grand remplacement ». Les idées nous aident à voir le réel, les idéologies nous ferment les yeux. Et à marcher les yeux fermés, on risque simplement de se casser la figure.
François Taillandier
Ecrivain
Jeudi, 28 Septembre, 2017
L’humanité