— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Pour les élus Guadeloupéens et Martiniquais engagés dans un processus d’autonomie, les concepts d’hybridation culturelle et de créolisation offrent des cadres théoriques pour penser et valoriser l’identité antillaise. Mais quid alors de l’importance des mécanismes économiques dans le processus d’évolution des consciences ? En mettant en avant la richesse et la diversité culturelle de la Guadeloupe et de la Martinique, ces concepts permettent de construire une identité nationale qui soit inclusive et dynamique, reflétant les multiples influences historiques et culturelles qui ont façonné l’île. l’hybridation, en particulier, peut servir de modèle de résilience et d’innovation culturelle. En reconnaissant et en célébrant la capacité des Guadeloupéens et Martiniquais à transformer des éléments disparates en une culture unique et vivante, les élus peuvent promouvoir une vision d’autonomie fondée sur la créativité et la résistance historique. Cela peut renforcer le sentiment de fierté et de solidarité parmi les citoyens, tout en mettant en avant la spécificité de l’expérience d’émancipation dans le contexte global de décolonisation des esprits. Ces thématiques permettent également de situer certes le processus d’autonomie politique dans une perspective de décolonisation, mais pas d’émancipation économique. En valorisant aussi des concepts comme la créolisation, les élus Guadeloupéens et Martiniquais peuvent affirmer une rupture avec les anciennes structures coloniales et proposer un modèle de société qui soit véritablement postcolonial. Cela inclut la réappropriation de l’histoire, des langues et des traditions locales, ainsi que la promotion de formes de gouvernance et de développement économique qui reflètent les valeurs et les aspirations des Guadeloupéens et Martiniquais. Mais pour mieux comprendre l’utilité de ce concept philosophique d’hybridation il est important de faire la genèse de l’histoire de la Guadeloupe et de la Martinique, qui est marquée par la colonisation et les migrations forcées. En 1635, des Européens exterminent les Kalinagos et prennent possession des îles, amenant des Africains comme esclaves pour exploiter les terres. Les relations entre maîtres et esclaves créent une population métissée, et l’abolition de l’esclavage en 1848 amène de la main-d’œuvre asiatique.La Guadeloupe et la Martinique deviennent des colonies française avec des gouverneurs d’origine européenne. L’éducation post-abolition engendre une classe moyenne et une élite assimilationniste qui dominent aujourd’hui la scène politique aux Antilles. Les békés et blancs fwans eux dominent l’économie, transitionnant de la canne à sucre à la banane et aux grandes surfaces commerciales, tandis que le mouvement ouvrier se développe.Après les deux guerres mondiales, les Antilles revendiquent l’égalité avec les citoyens de la métropole, obtenant la loi d’assimilation en 1946, transformant la colonie en département français dirigé par un préfet. Cependant, peu de choses changent réellement hormis sur le plan social ; l’administration et l’économie restent dominées par les Européens.Les luttes syndicales et politiques se concentrent sur l’égalité sociale, négligeant le développement économique. La Guadeloupe et la Martinique deviennent dépendantes des importations, et la population vieillit et diminue, compensée par l’immigration européenne et Caribéenne.
La violence croissante parmi les jeunes inquiète de plus en plus, des émeutes sociales éclatent lors de la crise COVID et les statues coloniales sont déboulonnées, mais la réponse de l’État n’est pas à la hauteur du malaise identitaire, sinon une injonction à peine voilée à la responsabilité locale donc l’autonomie.
Les acteurs sociaux de Guadeloupe et les jeunes activistes RVN en Martinique critiquent l’absence de relations avec le bassin caribéen et la prédominance de l’administration européenne des îles en dénonçant l’inertie sur la lutte contre la vie chère et le chômage qui pourrait forcer des milliers de Guadeloupéens et Martiniquais à émigrer de plus belle. En fait cette situation souligne la nécessité d’autonomie voire pour certains intellectuels d’indépendance, et de reconnexion avec la culture locale face à ces défis. Et c’est là qu’intervient le concept philosophique d’hybridation.
En réalité l’Hybridation culturelle n’est autre qu’une nouvelle compréhension de l’Identité Antillaise. L’hybridation culturelle, souvent associée à des penseurs comme Homi K. Bhabha, se réfère à la fusion et à l’interaction de différentes cultures, aboutissant à des identités et des pratiques culturelles nouvelles et hybrides. Ce concept repose sur l’idée que les cultures ne sont pas fixes mais évoluent en réponse aux contacts et aux échanges interculturels. L’hybridation culturelle met en avant la fluidité et la dynamique des identités, permettant la coexistence de multiples influences et la création d’un « troisième espace » où ces interactions peuvent se produire. Il n’y a pas vraiment d’antinomie entre l’Hybridation et Créolisation. Le concept de créolisation, tel que développé par l’écrivain martiniquais Édouard Glissant, va au-delà de l’hybridation culturelle en insistant sur le processus historique et socioculturel spécifique qui se produit dans les contextes postcoloniaux, en particulier dans les Caraïbes. La créolisation décrit la manière dont des cultures diverses et souvent opposées (européennes, africaines, amérindiennes et asiatiques) se mélangent et se transforment pour créer quelque chose de radicalement nouveau. Contrairement à l’hybridation, la créolisation met en évidence le caractère inachevé, imprévisible et ouvert du processus de formation culturelle.
L’hybridation culturelle, concept philosophique clé, reconnaît et valorise la diversité et la fluidité des identités culturelles. Elle permet d’accepter que les identités sont constamment en transformation, influencées par des interactions entre diverses cultures. Dans le contexte Antillais, cela signifie reconnaître que l’identité des îles de Guadeloupe et Martinique est le résultat de mélanges complexes entre influences africaines, européennes, amérindiennes et asiatiques.L’autonomie politique, en revanche, concerne la capacité d’une société à se gouverner elle-même, à prendre des décisions indépendantes de l’ancienne métropole coloniale. Pour une société antillaise, cela implique de gérer sa propre diversité culturelle tout en affirmant une identité distincte de celle de la France métropolitaine. Mais il existe des points de convergence entre Hybridation Culturelle et Autonomie Politique. L’hybridation culturelle encourage la reconnaissance et l’intégration de diverses influences culturelles. Elle permet de voir la diversité non pas comme un problème à résoudre, mais comme une richesse à valoriser. Pour que l’autonomie politique soit pleinement réalisée, il est crucial que cette diversité soit prise en compte et intégrée dans les structures de gouvernance. Cela peut se traduire par des politiques inclusives qui respectent et promeuvent les différentes composantes culturelles de la société Antillaise. En ce sens L’hybridation s’oppose à l’homogénéisation culturelle des activistes, cherchant à préserver la multiplicité des identités. Elle est une forme de résistance contre les pressions d’assimilation et de noirisme qui tentent de réduire la diversité à une seule norme dominante.
L’autonomie politique permet de résister aux tentatives d’assimilation imposées par l’ancienne métropole coloniale. Mais toutefois en affirmant leur droit à l’autodétermination, les Guadeloupéens et Martiniquais peuvent mieux protéger et promouvoir leur diversité culturelle. L’hybridation offre un cadre pour comprendre comment des éléments culturels disparates peuvent se combiner pour former quelque chose de nouveau et de unique et l’autonomie politique offre l’espace nécessaire pour que cette identité dynamique puisse se développer librement, sans les contraintes imposées par une autorité extérieure. Elle permet aux Guadeloupéens et Martiniquais de définir eux-mêmes leur identité, en tenant compte de leur histoire et de leurs aspirations futures.En s’appuyant sur le concept d’hybridation, les politiques culturelles antillaise peuvent être conçues pour refléter et célébrer la diversité culturelle des Îles. Cela peut inclure des programmes éducatifs qui enseignent l’histoire complexe et les multiples influences culturelles, des musées, des festivals et des événements qui célèbrent cette diversité, et des soutiens aux arts et à la culture qui encouragent les expressions hybrides. Ainsi les concepts d’hybridation culturelle et de créolisation offrent des outils puissants pour comprendre et valoriser les dynamiques culturelles complexes de la Guadeloupe et de la Martinique. Dans le contexte du processus d’autonomie, ils permettent de penser une identité nationale inclusive et dynamique, fondée sur la résilience historique et l’innovation culturelle. En s’appuyant sur ces idées, les élus Guadeloupéens et Martiniquais peuvent promouvoir un projet d’émancipation et de décolonisation des esprits qui soit à la fois local et global, ancré dans l’histoire unique des îles et ouvert aux échanges et aux relations internationales. Mais là où le bât blesse, c’est que nous sommes en présence d’une réflexion inversée en provenance des élus locaux où la notion de fracture culturelle à la base de la pensée politique anticolonialiste exclut de fait pour des raisons purement idéologiques, le champ de l’économie. C’est là incontestablement le résultat de l’absence de culture économique des élus et de la méconnaissance des mécanismes de l’économie de la part des intellectuels et décideurs Antillais. La situation économique des Antilles et la réflexion sur leur développement durable et endogène dans un contexte politique d’autonomie posent en effet des questions complexes, particulièrement en ce qui concerne les approches anticolonialistes et autonomistes qui parfois négligent l’aspect économique. Voici une analyse des dangers potentiels et des pistes pour un développement équilibré à partir d’un nouveau modèle économique et social pour les Antilles.
En excluant les questions économiques, les mouvements anticolonialistes et autonomistes risquent de négliger les bases nécessaires pour une économie pérenne et une production robuste. Cela pourrait mener à une situation où, malgré l’autonomie politique, les économies locales restent dépendantes de l’extérieur, comme c’est le cas en Nouvelle-Calédonie. Ignorer l’importance des problématiques économiques peut conduire à une dépendance accrue vis-à-vis des aides financières de l’ancienne puissance coloniale ou d’autres entités internationales. Cette dépendance peut limiter l’autonomie réelle et la capacité de ces régions à se développer de manière véritablement autonome.
Les incertitudes économiques et l’instabilité politique peuvent dissuader les investisseurs potentiels, limitant ainsi les opportunités de croissance économique et d’emploi.
Le risque réside dans une mauvaise gestion des ressources locales en dépit des apparences de compétences nouvelles, mais sans ressources financières pour les assumer.
Une approche purement idéologique qui ne tient pas compte de la gestion rationnelle des ressources agricoles et naturelles voire plus largement économiques pourrait conduire à une exploitation inefficace ou insoutenable de ces ressources. La Nouvelle-Calédonie est un exemple pertinent. Après avoir obtenu un très large degré d’autonomie, elle a fait face à des défis économiques importants, notamment en raison de la mauvaise gestion de ses ressources naturelles, de la chute des prix des matières premières comme le nickel, et d’une dépendance continue à l’égard de la France. Aujourd’hui l’économie de la nouvelle Calédonie est en ruine et l’autonomie est devenue factice. Pour éviter ces pièges, un développement durable et endogène dans les Antilles devrait inclure une planification économique intégrée : Les plans de développement doivent intégrer des stratégies économiques solides, basées sur les ressources locales, les compétences et les opportunités de marché. Cela inclut la diversification économique pour éviter la dépendance à un seul secteur notamment agricole ou touristique.
Par ailleurs, il faut investir dans l’éducation et la formation professionnelle pour doter la population locale des compétences nécessaires à la gestion de l’économie et au développement des entreprises locales à partir de la maîtrise des nouvelles technologies notamment l’intelligence artificielle. De même le développement des infrastructures de base (réseaux d’assainissement et eaux, déchets, transport, énergie, télécommunications) ne peut être envisagé que par l’adoption des technologies modernes pour améliorer la productivité et attirer les investissements. Tout celà n’est possible qu’avec les partenariats entre les gouvernements locaux, les entreprises privées et surtout avant tout avec l’État pour abonder des finances et stimuler l’investissement et la création d’emplois.
Le danger de négliger les questions économiques dans une approche anticolonialiste et autonomiste de nature purement idéologique réside dans la fragilisation des bases nécessaires à un développement durable et équitable. Une approche politique mieux équilibrée, intégrant des stratégies économiques robustes et une gestion rationnelle des ressources, est essentielle pour assurer une autonomie véritable et disons le clairement d’abord la construction au préalable d’un nouveau modèle de développement productif pour les Antilles.
« Sé jodi nou ka mété rasin démen an tè… »
Traduction littérale :C’est aujourd’hui que nous mettons les racines de demain en terre.
Moralité : Signifie que si l’on veut mener à bien des objectifs de développement, il faut savoir se fixer une ligne de conduite non plus idéologique mais pour l’essentiel économique dès le moment présent.
Jean-Marie Nol économiste et juriste en droit public