— ¨Par Jean-Marie Nol, économiste —
Le vote de l’eurodéputée guadeloupéenne maxette Pirbakas s’est portée « contre » la résolution reconnaissant la traite transatlantique comme un crime contre l’humanité. C’était le vendredi 19 juin à Bruxelles. Plusieurs personnes en Guadeloupe et Martinique se sont émus qu’une guadeloupéenne ait pu porter sa voix contre un vote du parlement européen reconnaissant l’esclavage comme étant un crime contre l’humanité. L’expression de cette colère contre madame Pirbakas qualifiée par certains à dessein d’origine indienne, souligne la présence dans la société d’un système de différenciation et de hiérarchisation racialisé. C’est un système invisible pour les personnes qui correspondent à ce que l’on définit comme la norme, en l’occurrence celles dont les ascendants sont d’origine africaine et qui sont largement majoritaire en Guadeloupe et Martinique .
Préjugés et frustrations nourrissent déjà le racisme aux Antilles.
Un événement tragique, la mort de George Floyd aux Etats-Unis, a ouvert de nouveau un espace public pour ces discussions. L’attention médiatique de la résurgence de la problématique raciale est inédite dans la période contemporaine en France, voire à un moindre degré en Guadeloupe et Martinique . Est-ce un feu de paille ou une possibilité de changement structurel du caractère multi-ethnique et multi-culturel de la société Antillaise ?
Partout dans le monde, la foule se soulève contre le racisme et les violences policières. En Guadeloupe aussi, où la question du profilage racial a ressurgi à l’instar de la Martinique . Pour nous , si la situation actuelle reflète un racisme présent dans toute la société, elle n’en est pas moins un exhausteur problématique de futures tensions au sein de la population guadeloupéenne et Martiniquaise . A l’avenir, ces tensions raciales ne peuvent que s’exacerber notamment entre noirs et blancs.
Pour certains descendants de la communauté indienne de Guadeloupe qui paraît-t-il selon certaines sources soutiennent le rassemblement national, les discriminations sur la base de l’origine et de la couleur de peau n’est pas toujours perçu comme problématique. Tous les indiens de Guadeloupe ne partagent pas cette culture d’une appartenance identitaire noire , mais elle est plutôt dominante et ce n’est pas évident d’y résister.
On peut se demander si l’écoute des revendications du rassemblement national est aujourd’hui possible parce que l’on considère qu’un tel discours ne pourrait pas advenir dans nos pays, que le problème racial serait moins aigu chez nous, ce qui est une lecture faussée de la situation. Le ressentiment actuel des descendants d’Africains semble visiblement marquée au sceau indélébile de ces représentations déshumanisantes dont ils ont été un temps victimes.
On peut faire une lecture pessimiste de l’émergence du racialisme et de la situation de plus en plus précaire pour le vivre ensemble en Guadeloupe et Martinique en raison de l’augmentation probable de la précarité économique avec la crise du Covid 19.
Au-delà de l’évidente dénonciation du racisme , une chose semble sûre, c’est que le recours assumé à ces représentations infamantes est une façon, pour déroutante qu’elle soit, d’introduire sur le devant de la scène les questions liées à l’héritage de l’esclavage, d’examiner pour la Guadeloupe et la Martinique les conséquences culturelles sur le long terme de ce crime contre l’humanité. Cela témoigne également, et peut-être surtout, des explorations culturelles contemporaines qui se mènent, dans le cadre de la communauté indienne en Guadeloupe autour d’une identité qui se cherche à travers le prisme de ces représentations religieuses de son humanité un temps contestée par l’église catholique , et qui s’interroge sur sa représentation publique dans un monde désormais multiculturel, enté sur la circulation planétaire d’images plus ou moins bien contrôlées. Et c’est pourquoi il faut en finir avec le jeu pervers de l’amalgame des racialistes en Guadeloupe et en Martinique.
L’affaire du vote de l’eurodéputée guadeloupéenne maxette Pirbakas fait couler beaucoup d’encre dans les médias et sur les réseaux sociaux. En relatant à satiété l ‘histoire d ‘un tel
épiphénomène , on court le grand risque de rouvrir les vieilles plaies de l’histoire de la Guadeloupe qui s’étaient graduellement plus ou moins fermées. En Martinique, c’est moins le cas, car la fracture demeure ouverte avec la question békés. Il me semble qu’il ne faut point faire autant de place aux blessures anciennes de l’ esclavage des noirs et de l’engagisme des indiens, qui suscitent du ressentiment entre les différentes communautés et qui divisent le peuple guadeloupéen. Le vote de madame Pirbakas a ravivé certaines blessures dans un contexte où les tensions politiques et sociales persistent, si bien que le risque de fragmentation de la société guadeloupéenne est bien réel , car la frontière du bien vivre ensemble c’est guérir la cicatrice de l’ histoire. La lutte des races va-t-elle remplacer la lutte des classes en Guadeloupe et en Martinique ? L’absurde, l’injuste, le violent et le tragique ont toujours fait partie de la condition humaine, la culture permet de les apprivoiser, mais certainement pas l’histoire. Et c’est d’autant plus vrai que comme le disait Paul Valery. : » L’histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellectuel ait élaboré. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines. «
On le voit, les racialistes et d’autres se réclamant du pan africanisme, ne jouent que sur l’émotionnel, la raison a perdu ses droits, celui qui est en colère ou blessé est devenu celui qu’on n’a pas le droit de contredire.
Les racialistes et les personnes se réclamant de l’idéologie pan africanisme sont un danger pour la Guadeloupe et la Martinique . Le discours néo-identitaire est-il d’avantage un symptôme ou une cause de notre société démocratique ? Comment imaginer pouvoir lutter contre le racisme sans sombrer dans le nihilisme ? En voulant expurger notre histoire en la jugeant selon des critères contemporains, en la réécrivant à leur sauce (comme l’aveuglement sur la place de schoelcher dans l’histoire de l’abolition de l’esclavage ), en censurant et caviardant les œuvres culturelles, les racialistes et les personnes qui se revendiquent du pan africanisme non seulement détruisent un patrimoine commun à tous les guadeloupéens et Martiniquais, mais rendent aveugles et sourds ceux qui ne verraient plus le réel que selon des lunettes néo-identitaires. Ne voir le verre qu’à moitié vide, mener la Guadeloupe et la Martinique à la guerre civile en étouffant le véritable enjeu du débat politique au motif que les origines des uns les disqualifieraient pour apprécier les revendications des autres, c’est prendre le risque de mettre à bas les valeurs de la départementalisation qui a pourtant permis l’éclosion des valeurs démocratiques et universalistes en Guadeloupe et en Martinique.
Tout ceci pour dire que le déchaînement anti-Indien qui s’est produit sur Internet suite au vote Maxette Pirbakas relève pleinement du racialisme et est tout bonnement inadmissible. Et il en va de même du sentiment anti békés qui s’ancre désormais dans la société Antillaise.
En effet, d’un point de vue très général, la question de la commune humanité entre des hommes de « races », couleurs, origines différentes en Guadeloupe et Martinique tient à la fois de l’évidence du réel de la colonisation , et est une donnée immédiate de la perception du vivre ensemble , mais force est aussi hélas de constater que l’évidence contraire peut paraître tout aussi manifeste : il y a sans doute au premier abord aux Antilles autant de points communs que de différences perceptibles entre des hommes issus de communautés différentes. Et là réside le véritable défi pour l’avenir du vivre ensemble en Guadeloupe et en Martinique . La seule leçon claire est donc la suivante : jouer avec les stéréotypes raciaux se révèle jouer avec le feu, personne n’est capable de maîtriser un tel incendie une fois qu’il a été allumé – et il faut peu de choses.
Jean-Marie Nol, économiste