L’histoire de Radio APAL

D’une initiative révolutionnaire à la liquidation

Nombreux sont les compatriotes qui se sont tournés vers nous pour nous exprimer leur sympathie en apprenant la nouvelle de la fermeture de Radio APAL. Certains ignoraient jusqu’à ce jour, que nous, cofondateurs de la radio, en avions été illégalement écartés. Nous ne saurions rester silencieux devant la disparition de ce qui a été une arme décisive dans la lutte de notre peuple pour son émancipation. Notre devoir de transmission nous impose de porter à la connaissance de tous et de toutes ce qui a été une véritable épopée militante.

Nous étions en 1981, quand les membres du Groupe d’Action Prolétarien ont décidé de se doter d’outils leur permettant, d’une part, de combattre les médias du système, d’autre part, de renforcer leur propagande révolutionnaire et leur travail de conscientisation en direction de notre Peuple. En Janvier naissait le journal «Asé Pléré An Nou Lité» et le 6 décembre, à 18 heures, Radio APAL lançait sa première émission avec la diffusion de «l’Internationale». C’était une radio complètement illégale.

Cet acte historique traduisait notre volonté de rupture, notre choix de prendre nos responsabilités et d’opposer au pouvoir colonial notre droit à l’expression. Radio APAL n’est pas concernée par la libération des ondes permise, plus tard, avec l’arrivée de François Mitterrand à la Présidence de la République Française.

Sa mise en oeuvre s’appuyait sur le principe de compter sur nos propres forces. L’intégralité des sommes nécessaires à l’achat du matériel et au fonctionnement venait de la contribution volontaire des militants et sympathisants. Des centaines d’ouvriers agricoles ont cotisé pour l’acquisition de l’émetteur. Nous ne comptions ni sur les subventions, ni sur la publicité. Ce sont des dizaines de militants bénévoles qui se relayaient pour assurer la réalisation des émissions.

Nous avons été confrontés à des tentatives d’intervention des forces de répression qui ont avorté grâce à la mobilisation des militants autour du studio. Le Pouvoir savait qu’une intervention risquerait d’avoir des conséquences imprévisibles. Une invitation nous a été faite par Michèle COTTA lors d’une réunion à la Préfecture où étaient conviées toutes les «radios libres». Cette présidente de la «Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle» s’est adressée aux «représentants de radios illégales

qui étaient dans la salle», pour leur suggérer de déposer un dossier de demande de fréquence assurant qu’une réponse positive suivrait. Radio APAL ne s’est pas exécuté.

Ce n’est que de nombreuses années plus tard que notre organisation a décidé de créer l’ADECOBA (Association pour le développement de la Communication à la Base) parce qu’elle estimait alors que le gouvernement n’était plus en capacité d’effacer Radio APAL du paysage. Elle pouvait ainsi accéder aux fonds publics et gérer une publicité, strictement réservée à l’économie endogène.

Il n’est point besoin de développer quant aux apports de la radio en matière de diffusion de notre langue et de notre culture, en matière d’informations alternatives et internationales ou encore de vulgarisation des musiques populaires du monde. Chacun sait que toutes les organisations populaires étaient chez elles sur Radio APAL. On peut rappeler que pendant de nombreuses années Pierre DAVIDAS et Mme LOUISON ont animé une émission hebdomadaire de l’ASSAUPAMAR. La CSTM a aussi bénéficié d’une émission chaque semaine, jusqu’à la création, plus tard, de RLDM. Toutes les semaines les habitants de tous les quartiers s’exprimaient au micro de Dédé MOUTENDA». Pèp-la té ka palé!

Radio APAL était connue internationalement. Membre de l’AMARC (Association Mondiale des Animateurs de Radios Communautaires), elle envoyait des émissions qui étaient diffusées sur RADIO KAYIRA au Mali. Elle répercutait une liaison avec les guérilleros du Front Farabundo Marti du Salvador pendant la lutte armée de Libération; les liaisons hebdomadaires avec Radio Havane Cuba et Haïti n’ont jamais cessé.

Qui peut contester que Radio APAL, impulsée par le GAP puis par le CNCP qui en a pris la relève, a constitué un immense levier pour la lutte de notre peuple? Entendre aujourd’hui des fossoyeurs annoncer sa fermeture ne peut être vécu que comme une véritable déchirure.

La vérité, c’est que nous assistons là à l’aboutissement d’une entreprise de liquidation entamée depuis 2011. Beaucoup de gens ignorent encore que cette année là, quelques personnes opposées à la ligne politique du CNCP ont accaparé la direction du Journal et de la Radio par des procédés inqualifiables.

Nous avons alors refusé de faire appel à la justice coloniale pour trancher un litige politique qui concernait les Martiniquais et, surtout, il n’était pas question pour nous d’exhiber une division démoralisante de plus aux yeux du peuple. Nous avons préféré continuer notre travail, convaincus que le temps nous donnerait raison. C’est aujourd’hui le cas.

Les prétextes donnés pour la fermeture illustrent la faillite d’une ligne opportuniste de liquidation.

Manque d’effectif ? Où sont donc les militants dont les chefs d’orchestre de l’opération se prévalent ?

Difficultés financières ? Qu’est devenu l’esprit de rupture et de «compter sur ses propres forces » ? On prétend vouloir gérer un pays et on ne saurait pas gérer une radio communautaire ?

Nous le redisons : il s’agit de l’aboutissement d’une entreprise de liquidation menée par une poignée de personnes qui, privilégiant leurs propres intérêts et piétinant les conquêtes déjà réalisées par notre mouvement, se sont emparées des biens d’une organisation qu’ils espéraient détruire. Ce sont les mêmes qui ont prétendu «dissoudre les Comités Populaires» tout en revendiquant l’étiquette de CNCP- APAL». Rappelons encore une fois que CNCP signifie Conseil National des Comités Populaires.

Maintenant que s’est envolée l’illusion de pouvoir utiliser les moyens et la réputation de Radio APAL pour servir des desseins électoralistes, on décide sa liquidation!

A cet égard, les militants resteront très vigilants quant à l’affectation des biens de Radio APAL; ils attendent que ceux qui ont décidé de sa mort indiquent publiquement le nom des membres du Conseil d’administration qui ont pris une telle décision et la publication du procès verbal de l’AG d’adhérents qui l’aurait avalisée.

En tout cas, en ce qui concerne le travail sur le front médiatique que requiert notre lutte de libération nationale, aucun espoir n’est perdu parce que ceux qui ont fondé Radio APAL sur des bases révolutionnaires le 6 décembre 1981, ne sont pas restés les bras croisés! Ils ont développé sous la bannière de «JIK AN BOUT» des outils de communications alternatifs qui ont toujours assuré la continuité de notre ligne historique.

En tout état de cause, la lutte qui mène à la souveraineté n’a jamais été un fleuve tranquille, mais notre détermination et les énorme progrès déjà réalisés sont là pour nous garantir que la victoire de notre Peuple est au bout du chemin.

Robert SAE, Jean ABAUL, Léon SEVEUR , Thierry JOSEPH – ANGELIQUE