— Par Jean-Marie Nol, économiste —
La Guadeloupe et la Martinique ont entamé depuis les années 1970 un mouvement de vieillissement aussi massif que rapide et les choses vont aujourd’hui en s’accélérant. Selon les prévisions, 40 % de la population auront plus de 60 ans à l’horizon 2040 et les jeunes de moins de 20 ans ne seront plus que 22 %.
Les conséquences en sont lourdes en termes de structure de l’économie, de dépendance et de santé, de solidarités et de cohésion sociale.
L’exil des guadeloupéens et martiniquais et la baisse de la démographie influe-t-elle sur l’économie ?
Oui, dirions nous, sans risque de se tromper, car le constat actuel est alarmant. En effet, ce qui est important à signaler c’est ce chiffre de 62%, qui représente le pourcentage des actifs âgées de 15 à 29 ans déclarant être insatisfaits de leur situation,et qui seraient prêts à quitter la Guadeloupe et la Martinique pour un emploi ou une formation qualifiante.
(Source INSEE)
Comment transmettre aux jeunes et aux retraités d’aujourd’hui , le sens du pays et l’amour de la « valeur patriotique » dans le contexte déprimé du modéle sociétal de la Guadeloupe et la Martinique ? La question ne hante pas seulement les ainés qui voient impuissants les jeunes partir du pays sans espoir de retour . Elle résonne aujourd’hui dans toutes les écoles, les entreprises , les administrations , et mobilise aussi bien les enseignants que les parents , les patrons et les politiques.
Cette nouvelle donne provoque mécaniquement une crise en matière d’attractivité des territoires de la Guadeloupe et de la Martinique : 78% des guadeloupéens et martiniquais travaillant en France hexagonale ne veulent pas revenir vivre au pays .
Est-ce un effet de la crise sanitaire et économique qui secoue le tissu économique local et qui doit faire face à des problèmes cruciaux dans les années à venir ? En tout cas, les guadeloupéens et Martiniquais qui se sont installés en France ou à l’étranger ont de moins en moins envie de rentrer au pays, selon une étude .
Et le résultat est détonnant: Plus de sept personnes interrogées sur dix envisagent de ne jamais revenir en Guadeloupe ou Martinique pour y travailler ou y vivre la retraite !
D’après l’étude , ils sont de plus en plus heureux de leur sort en France hexagonale . En tout, 74% se disent très satisfaits contre 61% il y a sept ans et 60% plutôt satisfaits. Une tendance qui se renforce chaque année depuis la crise sociale de 2009 .
82% souhaitent un changement de mentalité et une meilleure attractivité économique.
Et pour 82%, seul un changement de mentalité et de situation de l’emploi pourrait inciter les guadeloupéens et Martiniquais à revenir. «Quand on voit la Guadeloupe et la Martinique aujourd’hui,avec la gabegie ambiante des coupures d’eau à répétition et la faillite financière des collectivités locales , on n’a pas envie de rentrer. De manière encore plus problématique, la diminution de la part de la population en âge de travailler provoquera inévitablement une diminution du PIB par habitant de plus de 30% .
« Il n’y a de richesses que d’hommes ». La célèbre phrase de l’économiste Jean Bodin se vérifie encore cinq siècles après avoir été écrite. Ces vingt-cinq dernières années, la démographie a incontestablement été une des forces de la Guadeloupe et la Martinique .
Ce sera un peu moins le cas. Il est certain que la baisse de la natalité depuis trente ans aura des conséquences économiques sur le niveau de vie des guadeloupéens et martiniquais à terme puisque la croissance du PIB dépend du progrès technique bien sûr mais aussi de l’évolution de la population active.
Avec une théorie de la positivité des transferts publics , les élus guadeloupéens et martiniquais tentent toujours d’appréhender le long terme par le prisme de l’ indéfectible solidarité nationale . De notre point de vue , cette vision du développement de l’économie, héritée de la départementalisation, est dépassée car il s’agit d’une thèse qui va à l’encontre des fondements de la théorie économique classique. Dans « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations », le célèbre économiste Adam Smith estime que c’est la confrontation des intérêts particuliers qui suscite la compétition et la concurrence. Ce qui amène à la création de nouveaux emplois et produits locaux qui correspondent au mieux aux besoins de la société. L’individualisme de chacun sert alors l’intérêt de tous.
Seulement, l’intérêt général ne se décrète pas cause commune aussi facilement. Chacun a sa vision du long terme et ses idées sur la manière de faire évoluer la société guadeloupéenne et plus encore martiniquaise . Qui décidera des orientations du nouveau modèle économique et social ? Comment les faire appliquer ? Le projet de développement exogène que nous préconisons a le mérite de mettre en lumière la responsabilité des anciens vis-à-vis des jeunes générations. Mais il pose aussi la question de savoir si, dans un jour pas si lointain, l’urgence de la situation (environnementale, sociale ou économique) ne va pas conduire à prendre des mesures drastiques, pour endiguer l’absence d’attractivité économique de la Guadeloupe et de la Martinique . Améliorer l’attractivité économique de ces régions ultramarines sera donc un chantier de longue haleine. Pour certains, on a le temps de s’y préparer. De plus, ce n’est pas un sujet d’inquiétude majeur pour certains élus idéologues comme peut l’être le chômage des jeunes . Sur le terrain, les collectivités territoriales, aux finances déjà serrées, n’en sont pas si sûres. Même en se concentrant dans un premier temps sur la seule urgence de la dépendance des personnes âgées – à leur charge -, le Conseil départemental de la Guadeloupe et la Collectivité territoriale de Martinique redoutent déjà des situations financières « intenables ». En jeu : la capacité d’emprunt et surtout la possibilité de faire face à l’explosion des dépenses sociales avec la crise . A notre avis, c’est maintenant qu’il faut muscler encore nos dispositifs économiques, mobiliser toute notre énergie pour créer des emplois dans le secteur de la production et faire en sorte que nous ayons une économie qui soit plus souple, plus compétitive, plus réactive, plus créative, plus innovante. Il faut aller plus vite pour éviter la catastrophe, car ce qui attend la Guadeloupe et la Martinique avec une croissance négative couplée d’un risque déflationniste , c’est une crise sociale et politique de très grande ampleur. Surtout si on n’est pas capable d’organiser une plus grande mobilité sociale, de donner accès à tous les jeunes guadeloupéens et martiniquais aux postes de responsabilités publiques et privés, et de réduire les inégalités, devenues obscènes.
Au sous-équipement global des îles en matière de dépendance s’ajoute de fait une série de problèmes bien spécifiques à la société Antillaise . Législations et protection sociale, à l’époque défaillantes de la colonie , conjuguées à la précarité économique ont débouché pour les vieux guadeloupéens et Martiniquais sur des carrières incomplètes, et donc de petites retraites : « 95 % des personnes âgées vivent avec moins de 1.000 euros par mois, dont environ 40 % avec le minimum vieillesse. Elles ne peuvent donc pas payer un séjour en EHPAD [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ] et en cas d’admission obligatoire, le Conseil départemental et la CTM doivent le financer au titre de l’aide sociale aux personnes âgées . Un gouffre, vue la quasi-automaticité de cette aide. Deuxième écueil : les solides solidarités familiales autorisaient jusqu’ici le maintien à la maison des anciens jusqu’à 80-85 ans à un moindre coût pour la collectivité. Aujourd’hui, ces réseaux familiaux se délitent doucement, fragilisés par les difficultés d’emploi des enfants, ou par une émigration qui bouleverse la nature des liens avec les parents. Résultat : de plus en plus de guadeloupéens et martiniquais retraités ou non partent rejoindre leurs enfants en France hexagonale et pour ceux qui restent les collectivités locales devront toujours davantage se substituer aux familles.
Autre phénomène préoccupant , depuis 2009 , les Antillais de la diaspora rentrent de moins en moins souvent en vacances en Guadeloupe et en Martinique . Désormais moins d’un tiers n’envisage rentrer dans leur pays d’origine qu’une seule fois tous les trois ans … « Un effet de la crise sanitaire et économique du Covid 19 assurément!», estime l’étude. En effet, certains ne sont pas immunisés contre le désordre social qui règne en Guadeloupe et en Martinique dans beaucoup de secteurs d’activités . Fini le temps où les retraités de la France hexagonale revenaient au pays après avoir pris soin de construire une maison pour la retraite.
Un retour souvent difficile socialement ; retrouver sa culture, ses marques, sa famille, ses amis prend du temps et cette difficulté de réadaptation à vivre au pays est accentuée par beaucoup d’ennuis causés par la mentalité passéiste et la vie chère aux Antilles …
Au final, si certains jeunes Antillais d’aujourd’hui trouvent qu’ils sont une « génération sacrifiée »et qu’ils n’ont d’autres choix que l’exil , c’est peut-être aussi, en partie, de la faute du politique mais également des chefs d’entreprises …La situation économique est compliquée, la fracture sociale étant bien plus grande qu’en France :
Les jeunes guadeloupéens et martiniquais vivent aussi dans la crainte du lendemain . Crainte parce que nous ne voyons pas très clairement l’issue de la crise actuelle .
Sur quoi donc, dans ce cas, s’appuyer si ce n’est une pression fiscale accrue ?
Plus personne, en clair, ne veut mettre ses mains dans le cambouis pour conscientiser la population et en finir avec la gabegie financière … J’y vois le symptôme d’un pays malade de l’assistanat et d’un confort artificiel . Il fut un temps, celui des Trente Glorieuses par exemple, où avoir un travail suffisait au bonheur, où l’on ne craignait pas de se retrousser les manches…. La polémique qui enfle actuellement sur la question sensible des » blan fwans » qui envahiraient la Guadeloupe aussi bien que la Martinique , au risque d’un génocide par substitution, me semble-t-il relève de l’anecdote et de la passion idéologique identitaire, et ce même, si la problématique mérite attention. Mais pour l’heure en Guadeloupe comme en Martinique , le sujet sensible réside dans les projections qui prévoient une baisse de moitié de la population d’ici 2050. Le danger n’est autre que le déclin démographique qui se traduit par l’abandon de l’habitat et l’absence d’investissement. Ce phénomène contribue à l’effondrement de la valeur du foncier et de l’immobilier. Les villes et communes perdent en fonctionnalité en rentabilité économique et en attractivité…
« Chak bougo halé zékal a-yo »* ( *À chacun sa peine )
C’est le proverbe créole qui pourrait résumer le mieux la pensée qui agite, en ce moment, les réflexions des élus tétanisés par la crainte d’un retour de bâton consécutive aux conséquences à court terme de l’absence d’attractivité économique du territoire qui est la cause de l’exil des jeunes et retraités guadeloupéens comme martiniquais .
Tant qu’on ne parlera pas sérieusement de ces sujets, tant qu’on ne fera pas ce qu’il faut pour les traiter, on se condamnera à n’être que des sujets impuissants face à une crise de plus en plus envahissante , de plus en plus puissante . En se consolant par le spectacle parfois dérisoire des dimensions anecdotiques du changement de nos institutions politiques, sans même imaginer un instant le risque très élevé d’une faillite financière de nos collectivités locales imputable aux futurs dégâts économiques et sociaux de la crise du coronavirus. D’ailleurs, nul doute que plus de transferts de compétences aux élus, avec en parallèle une croissance négative et moins de transferts financiers de l’Etat dans un proche avenir, cela ne peut pas marcher !
« Pa ban mwen dlo mousach pou lèt » . ( Il ne faut pas nous faire prendre des vessies pour des lanternes)
Jean-Marie Nol économiste