— Par Kevin Boucaud —
Les chiffres de la croissance du deuxième trimestre en France et dans l’ensemble de la zone euro, qui seront connus demain, confirmeront certainement la faiblesse de l’activité économique européenne et ne devraient pas éloigner les inquiétudes sur un possible risque déflationniste.
Une crise va-t-elle en chasser une autre ? Alors qu’elle ne s’est toujours pas remise de la déflagration de 2008 – la crise financière étant devenue une crise sur les dettes des États –, l’Europe est hantée par un nouveau spectre : la déflation. L’Insee doit donner sa première estimation de la croissance du deuxième trimestre ce jeudi et tout annonce une déception : le retournement espéré par le gouvernement devrait laisser place à un ralentissement, voire à un nouveau repli. De nombreux signaux vont dans ce sens : la demande et l’investissement sont en berne et la production industrielle s’est contractée de 0,5 % au cours des trois derniers mois. La Banque de France a ainsi révisé à la baisse ses prévisions la semaine dernière, tablant sur une croissance trimestrielle de 0,2 %. Voilà de quoi contrarier le président de la République, François Hollande, qui soufflait, hier, ses soixante bougies.
Ces dernières semaines, le premier ministre, Manuel Valls, puis le chef de l’exécutif ont fait part de leur préoccupation devant cette situation. Le chef du gouvernement a notamment vivement critiqué la BCE, en déclarant qu’elle était « impuissante » face au risque déflationniste. François Hollande a pointé le même danger, mais s’est gardé d’attaquer l’institution francfortoise. Il s’est tout de même tourné vers l’outre-Rhin, demandant à ses partenaires allemands « un soutien plus ferme à la croissance », et ajoutant que « ses excédents commerciaux et sa situation financière lui permettent d’investir davantage ». Mais quel est ce nouveau risque qui menace le Vieux Continent ?
Des mécanismes économiques connus et décrits depuis 1933…
La déflation est bien plus qu’une simple baisse généralisée des prix, c’est une spirale négative qui entraîne toute l’économie (voir notre infographie ci-dessus). La contraction des prix à la consommation provoque inévitablement une hausse des taux d’intérêt réels – définis comme étant les taux d’intérêt nominaux moins le taux d’inflation. Celle-ci crée un surendettement des entreprises, qui diminue le taux de leur marge et génère ainsi une baisse des salaires nominaux et de l’investissement. La demande et la production chutent alors. Ces mécanismes bien connus, depuis qu’ils ont été décrits par l’économiste Irving Fisher en 1933, s’auto-entretiennent : le repli de l’activité entretient le recul des prix qui renforce à nouveau le marasme économique. On parle de « spirale déflationniste », devant laquelle les politiques monétaires se trouvent totalement démunies. L’histoire a connu plusieurs phénomènes de ce type, pendant la grande dépression des années 1930, qui a suivi le krach boursier de 1929, ou encore, ce que les économistes nomment « la décennie perdue » au Japon, durant les années 1990. Avec une inflation de 0,4 % en juillet pour la zone euro – un plus-bas depuis cinq ans –, le risque est réel. Il est accentué par les politiques d’austérité menées qui minent les salaires et pèsent sur l’activité. Ce danger était pointé depuis bien longtemps par de nombreux spécialistes. Parmi eux, on peut citer le collectif des Économistes atterrés, qui tirait la sonnette d’alarme dès 2012 dans leur livre intitulé l’Europe maltraitée. Plus récemment, Joseph E. Stiglitz, le prix Nobel d’économie de 2001, écrivait, dans son ouvrage publié en 2013, le Prix de l’inégalité : « Les pires mythes sont ceux selon lesquels l’austérité récupérera l’économie, et qu’une plus grande dépense de l’État ne ferait que le contraire. » Aujourd’hui, même la très libérale Bundesbank pense qu’il est urgent d’augmenter les salaires outre-Rhin pour éloigner le danger (lire ci-contre). Pour faire face à cette menace, les banques centrales ont pour habitude de mener des politiques dites « expansionnistes » ou « accommodantes », c’est-à-dire fortement créatrices de monnaie. C’est d’ailleurs l’alpha et l’oméga de toutes leurs actions. Car, comme le rappelle Dominique Plihon, économiste et membre d’Attac, « pour éviter les effets de la crise, (…) les banques centrales ont inondé de liquidités les banques ». Elles ont eu recours en particulier à des politiques non conventionnelles d’abondance de liquidités dites de « quantitative easing ». C’est la direction que prend la BCE puisqu’elle a ouvert la possibilité d’y recourir en mars dernier et qu’elle s’est dotée d’un nouvel arsenal quantitatif lors de sa réunion mensuelle de juin.
Entreprises et ménages cherchent tous, et avant tout, à se désendetter
Cette abondance de liquidités sert en théorie à « faire repartir la masse monétaire (quantité de monnaie en circulation) en augmentant les réserves des banques, afin de les pousser à faire du crédit », explique Patrick Artus, économiste à Natixis. « Or, cette fois-ci, ce n’est pas possible, car les entreprises et les ménages cherchent tous à se désendetter », poursuit l’économiste. Les banques ont utilisé ces liquidités pour alimenter des marchés
financiers. Elles ont donc eu pour effet principal d’« augmenter le prix des actifs financiers et d’alimenter les bulles », souligne Patrick Artus. Résultat, « la Bourse se porte mieux que l’économie réelle », regrette Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste à l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne. Outre-Atlantique, le Dow Jones et le S&P 500, les deux principaux indices américains, ont progressé respectivement 25,95 % et 29,09 % en 2013 et dépassent tous deux nettement les niveaux d’avant-2008. Alors que la croissance réelle n’a été, elle, que de 1,9 % aux États-Unis cette année-là. Dans la zone euro, le Dax de Francfort a enregistré une hausse de 25,50 % pour atteindre un plus-haut historique, le CAC 40 parisien a augmenté de 17,99 %. Dans le même temps, les PIB allemand et français n’ont progressé que de 0,4 % et 0,2 %. Des divergences qui se sont poursuivies cette année, le CAC 40 et le Dow Jones gagnant respectivement 2 % et 1 % au premier trimestre pour une croissance française nulle et un plongeon de 2,9 % du PIB américain.
« L’idéologie libérale croit que les marchés peuvent s’autoréguler ! »…
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