Lettre aux candidats aux élections européennes de 2019
— Par Emmanuel Argo(*), Lucien Cidalise Montaise(**), Victor Truxillo(***) —
Attaquée de l’extérieur comme à l’intérieur de son propre espace, l’Union Européenne s’affaiblira sans remise en question et adaptation aux défis actuels, d’autant que, de sa vocation fédératrice initiale, elle est devenue, pour beaucoup, à la fois une banque sélective, un arbitre, un censeur, un bouc émissaire voire une chimère.
Accusée de gestion opaque, de complicité avec les lobbies, imposant des règles de concurrence qui affaiblissent ses membres, se mêlant de tout, s’immisçant partout, il semble que le projet d’unir des nations autrefois ennemies ait laissé place à un système déconnecté des peuples, une machine qui divise face aux enjeux : climatiques, économiques, technologiques, sociaux, culturels et politiques annoncés. Parions à regret que, lors des élections prochaines, l’absentéisme l’emportera et les ententes politiques de circonstance n’y changeront rien.
Dans ses velléités de diriger l’Europe, Emmanuel Macron, qui sent le vent venir, anticipe le sujet pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être. Ceci, d’autant que la crise des gilets jaunes en France est aussi celle d’une société européenne en revendication.
La sortie annoncée et discutée des Britanniques de l’U.E., la montée des populismes, la crise migratoire, les nouvelles compétences des états membres et des institutions européennes interpellent. Non moins importants, ce sont aussi les liens de solidarité et de paix censés protéger les plus fragiles qui sont à bout de souffle tandis que les valeurs d’éthiques s’ajustent de façon variable, et c’est sans compter les récentes révélations qui touchent l’église catholique.
La politique africaine et ultra-marine de l’Europe doit changer
Dans un tel contexte qui la fragilise, la politique européenne qui nous touche directement, continue sur sa lancée et perpétue ses vieilles et centralisatrices méthodes, y compris avec ses partenaires africains et ultra marins, tandis que des grandes puissances, émergentes ou non, poussées par une croissance démographique et économique forte, s’emploient à redéfinir leurs relations internationales.
Tel est le cas de la Chine qui, en créant ‘‘la Nouvelle Route de la Soie’’, inclut des pays d’Asie et d’Europe (France, Grèce, Italie) via l’Océan Indien, l’Afrique, les Caraïbes (Cuba, St Martin, Panama, Vénézuela…) dans sa géostratégie.
Quand le cours des matières premières « puisées » en Afrique est fixé en Occident, des États africains sont entravés par leurs dettes ; des institutions internationales les vassalisent par les aides octroyées et, pour se donner bonne conscience, laissent des ONG gérer ce qui en résulte : la misère, et ses dramatiques conséquences la guerre, les catastrophes naturelles, les flux migratoires…Peut-on en rester là ?
Á l’heure des prochaines élections européennes, on évoquera les positions éligibles sur les listes ou le groupe à rejoindre au sein du parlement; mais quid d’un nouveau contrat de partenariat équitable avec le continent africain et les territoires extérieurs d’Afro-descendants, tels les Caraïbes qui constitueront ensemble, d’ici 2030, un ensemble de deux milliards d’individus ? Qui dira que les temps changent et qu’à pratiquer toujours et encore le misérabilisme, le paternalisme, la négrophobie, le mépris, on passe à côté du changement inéluctable et urgent de ceux que l’on ne voit jamais que sous l’angle d’une race qui n’a pas d’histoire ! et donc, d’une docilité et servilité ataviques. En poursuivant les politiques héritées des pratiques coloniales, l’Union Européenne risque de perdre définitivement les valeurs fondamentales qui ont présidé à sa construction.
Si l’Afrique, les Afro-descendants et diasporas du « Tout-Monde », que nous dénommons l’Africa Mundus, s’émancipaient réellement de la tutelle organisée, que deviendrait l’Europe ? ?
Pour l’instant, une surdi-mutité embarrassée s’est emparée de la plupart des dirigeants africains et européens concernés, à l’exception d’un ministre Italien qui conspue la France dans sa politique migratoire, ajoutant avec raillerie que ‘‘le Franc CFA reste le Franc des Colonies Françaises’’. Sa valeur à parité fixe avec l’€uro, garantie par le Trésor public français dans le cadre du traité de Maastricht, est sous contrôle de l’UE bien qu’imprimé par la Banque de France dans la bonne ville provinciale de Chamalières !! Chère à V. Giscard d’Estaing.
L’Europe ne semble pas anticiper les changements en cours : formation d’une classe moyenne entreprenante, hors contrôle d’une harmonisation et humanisation, des flux financiers permettant le développement artisanal, industriel, agricole, culturel et commercial, l’émancipation politique etc… Elle doit vite se réformer, remettre en question son paradigme économique pour élaborer de nouvelles relations plus sociales. Et cela passe par l’investissement sur l’avenir et non sur l’éternelle politique des aides à condition de tendre la main. Ainsi, comment comprendre le Président de la Commission déclarant que l’Europe a octroyé entre 2014 et 2019 environ 140 milliards d’euros, et rien qu’à l’Italie, pour freiner les flux migratoires? Cette gestion méprisable et contestable des fonds publics situe bien ceux qui dirigent actuellement l’U.E.
Élaboration d’un nouveau partenariat ACP/Afrique. Caraïbes. Pacifique. UEOutremers inclus.
Á l’heure où américains, chinois, japonais, indiens, russes font antichambre pour investir en Afrique et même dans les Caraïbes, tout peut être possible.
Débattu dans les régions de l’Africa Mundus, le sujet est soutenu par des NégroÉvolutionnistes jusqu’ en Outre-Mer, menacé par des problèmes bioclimatiques comme, par exemple, l’invasion des algues sargasses. Ainsi, dans le cadre d’un partenariat Europe-Afrique-Caraïbes, des solutions spécifiques, adaptées et conjointes pourraient être co-financées et menées.
La crise vénézuélienne ne devrait-elle pas appeler certains dirigeants européens et états-uniens à plus de prudence ? Si la fragile paix civile de ce pays basculait dans un conflit armé, l’arc caribéen serait douloureusement et injustement impacté. Les Antilles et la Guyane, collectivités ultrapériphériques européennes n’y échapperaient pas. Alors ?
C’est pourquoi, nous proposons un partenariat loyal et équitable pour en finir durablement avec les échanges hérités du temps de Christophe Colomb et Vasco de Gama, quand les autochtones qualifiés de « sauvages » étaient achetés avec de la verroterie.
Les Afriques et aussi les outremers incitent leurs ressortissants, dont l’expertise profite, pour l’instant, à d’autres régions du monde, à revenir au pays. L’Europe vieillissante a-t-elle anticipé le retour de cette main d’œuvre payée à bas coût, du ramasseur de tomates, au chercheur, au technicien, en passant par le médecin ? Sur cette question, les pays européens sont déjà en compétition.
L’air du « comptez sur nous », doit faire place à l’ère du « comptez avec nous », comme semblent l’avoir compris certaines nations qui ne s’embarrassent pas de scrupules et dont le pragmatisme, dans un contexte d’ultra libéralisme où tout se monnaie, même les hommes, relève davantage d’une stratégie opportuniste que d’un échange équitable. Pour ne plus être dupes dans cette nouvelle partition, nous voulons un accord gagnant-gagnant. Faire en sorte que nous Caraïbes ou Antillais puissions mieux comprendre, donc choisir ou refuser les propositions très souvent déséquilibrées et injustes.
C’est là une volonté que nous souhaitons faire partager aux esprits critiques et que nous aimerions entendre pendant la campagne des élections européennes, notamment de la part de ceux qui ont l’ambition de vouloir protéger les intérêts spécifiques et améliorer la situation des populations ultramarines dans le sens d’une responsabilité plus accrue.
(*) Emmanuel Argo, ancien Expert au Conseil Économique et Social Européen/Bruxelles et enseignant du droit européen à la faculté de l’université de Rouen.Membre de Chatham House. The Royal Institute of International Affairs/Londres et de la Société d’histoire de l’université d’Oxford.Auteur du concept de la NégroÉvolution et de la dénomination Africa Mundus.
(**)Lucien Cidalise Montaise, ancien président de l’Ordre des Architectes de la Martinique. Membre du réseau Africa Mundus et pair du concept de la NégroEvolution.
(***)Victor Truxillo, Docteur en chimie organique, ancien coopérant universitaire en Afrique francophone (Algérie, Bénin, Gabon). Professeur à l’ex IUFM Antilles Guyane/Institut Universitaire de Formation des Maîtres, Pair de la NégroEvolution et membre du réseau Africa Mundus.