par Georges-Emmanuel Germany ; Marcellin Nadeau ; Garcin Malsa ; Alfred Sinosa
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Saturés et irrités par les coups et mépris que leur portent l’administration de tutelle et la préfecture quant aux décisions les concernant, exaspérés de la non prise en compte de leurs doléances qui reviennent chaque année sur le tapis sans trouver de solution, les marins pécheurs de Martinique ont décidé de rompre le silence, de sortir de la résignation et d’exprimer leur ras-le-bol en se mobilisant massivement le 17 décembre 2012.
Ce sont des arrêtés préfectoraux sur l’interdiction de la pêche aux langoustes consécutive à la contamination au chlordécone qui ont en été le fait déclencheur. Imposés unilatéralement, autoritairement et sans concertation comme cela se fait souvent dans cette profession ,ces arrêtés sont pris dans la période des fêtes de fin d’année où la vente des langoustes est élevée du fait de la très forte consommation de ce type de produit ; alors que des responsables de la profession savent que les langoustes importées comme les autres fruits de mer sont débarqués en Martinique sans contrôle de traçabilité et de présence de substance dangereuse comme le chlordécone. Perçue comme une injustice venant aggraver les souffrances plus ou moins enfouies des marins pêcheurs, une telle démarche du préfet leur a offert l’opportunité de passer aux actes le lundi 17 décembre 2012.
Chose remarquable et même exceptionnelle les deux principaux syndicats qui animent depuis toujours la profession, ont unitairement présenté aux autorités compétentes une plate forme de revendications où se dégagent deux axes précis :
– L’un propre à la profession et qui exprime clairement la catastrophe économique.
– L’autre plus global qui indique la catastrophe sanitaire que vit la Martinique dont les mamelles nourricières que sont la terre, l’eau et la mer se trouvent gravement contaminées par le chlordécone.
Voilà ce décor que je viens de vous présenter et qui doit vous donner une indication sur la gravité de la situation dans laquelle se trouve la Martinique du fait d’une substance avérée hyper dangereuse, utilisée de façon déraisonnée et intempestive dans l’agriculture spéculative de la banane en dépit des réglementations pour satisfaire prioritairement et égoïstement les intérêts d’un lobby ; ce lobby béké est le même qui a su imposer à l’Etat français un modèle de gouvernance de la Martinique qui s’apparente au dictat hérité des périodes reculées du colbertisme et de la colonisation.
Si aujourd’hui il y a une affaire du chlordécone qui éclabousse avec une certaine ampleur l’Etat et les lobbys bien connus de l’agriculture productiviste, en termes de catastrophe économique et sanitaire, c’est que des martiniquais en dépit de leur silence apparent, ont constaté le mépris qui leur est affichée par l’Etat français. En effet les plans chlordécone 1 et 2 pour trouver des solutions à la pollution engendrée par les pesticides au premier rang desquels se trouvent ceux qui contiennent le chlordécone, ne sont que pure plaisanterie et moquerie.
NI RÊVE NI SURRÉALISME…
Ne peut-on pas comparer cela à un pompier sans défense placé dans une forêt de résineux dans laquelle on a mis le feu ? On sait que les deux vont inévitablement disparaître, et lorsque la forêt n’y sera plus, des promoteurs avides d’argent viendront la remplacer par du béton. La comparaison n’est ni anodine ni irréaliste puisque les plans chlordécone 1 et 2 passeront et il restera des centaines et des centaines d’hectares de terre polluée qui attire déjà l’appétit des promoteurs immobiliers qui font savoir déjà aux futurs clients que l’on pourra se nourrir à partir de produits importés sur la Martinique. Si on ne peut bétonner de la sorte les espaces marins, on peut cependant les transformer en méga marinas ou autres lupanars marins où tous les touristes pourront y trouver nourriture venant de l’extérieur.
On est donc ni dans le rêve ni dans le surréalisme, on est bien dans le projet conçu de longue date par ceux qui sont les « derniers maîtres de la Martinique » avec la bénédiction de l’Etat français. Ce même Etat dont les instances judiciaires préparent aujourd’hui la relaxation et le blanchiment des principaux responsables de la faillite du crédit martiniquais au lieu d’exiger d’eux le remboursement des 583 millions d’euros qu’ils doivent au fond de garantie financière de l’Etat.
Voilà qui ouvrirait une piste intéressante et juste à l’état, en panne de fric dit-on, si ce dernier réclamait cette somme qui représente plus de deux tiers du budget du conseil général pour en verser la totalité ou une partie pour indemniser les marins pécheurs, les agriculteurs et autres secteurs de l’économie en détresse pour les aider du coup, à restructurer leur profession. Si on en est à ce stade en Martinique, il faut admettre que l’on a fait passer la gestion comptable et la froideur financière avant la problématique essentielle et vitale de la santé. Rappelons nous encore des dernières passes d’armes sur l’épandage aérien des pesticides. On a rétorqué à tous ceux qui évoquaient la catastrophe sanitaire causée par le chlordécone sur les sols, les eaux et les êtres vivants, que l’absence d’épandage aérien sur la banane équivaudrait à une disparition de l’économie martiniquaise accompagnée d’une perte de 25 000 emplois. Il s’agissait des mêmes arguments qui ont conduits à l’époque (1993) à la justification d’une dérogation pour l’utilisation des pesticides à base de chlordécone dans la banane.
Cette thèse était défendue par ceux-là même qui ont toujours reçu des subventions juteuses pour la banane et qui commercialisent les pesticides d’autant qu’ils sont en même temps dominants dans l’import-export. Ils ne se sont pas gênés pour constituer leur fortune financière en utilisant inopinément l’argent du crédit martiniquais dont l’essentiel venait des martiniquais eux-mêmes. Avec l’Etat ils sont donc responsables et comptables de la situation actuelle du pays.
LE PRINCIPE DU « PAYEUR POLLUEUR »
Amis écologistes, vous dont l’éthique qui s’éloigne de l’argent et du profit, est fondée sur la justice et la préservation de la nature pour le bien-être actuel et futur, nous devons pouvoir compter sur votre engagement militant pour faire écho dans l’opinion française et dans vos hémicycles respectifs aux essentielles questions contenues dans ce texte. Il est sûr que votre vision de l’écologie qui s’appuie sur le respect de la diversité et de la démocratie ne pourra que s’enrichir de l’expérience de la lutte que mène le peuple martiniquais contre le mépris et l’arrogance de l’Etat français à son égard. Et, c’est en toute humilité que nous affirmons que le combat des martiniquais peut inspirer le combat d’autres Peuples et notamment celui que vous menez dans votre pays et sur votre continent européen, contre la logique mortifère du système néolibéral et productiviste. En effet, nombreux sont les enseignements, qui peuvent et doivent être tirés des luttes qui se mènent dans ces terres lointaines où l’administration française a une gouvernance qui, hélas, se rapproche beaucoup plus des périodes reculées de l’histoire que celles dont nous rêvons pour le bien être de notre commune Humanité.
Combattants écologistes, vous qui êtes partie prenante de la majorité qui gouverne la France aujourd’hui, faîtes comprendre à vos amis parlementaires et à tous les responsables de l’Etat que l’empoisonnement au chlordécone qui a engendré en Martinique et en Guadeloupe une catastrophe écologique, économique, sociale et sanitaire, doit être dénoncé et mérite réparation.
Ce qui vous est demandé relève d’une démarche juste et équitable car ce qui ne saurait être toléré pour la France, ne peut-être accepté pour la Martinique et la Guadeloupe.
Il vous est donc demandé d’exiger de l’Etat et de ses complices, conformément au principe « pollueur payeur » , d’indemniser les marins pêcheurs et de réparer toutes les pertes engendrées dans l’agriculture et la pêche du fait du chlordécone.
Il vous est aussi demandé d’exiger que des études de toxicologie soient faites sur l’ensemble des espaces, habitations et personnes exposés au chlordécone car la santé n’a pas de prix. A cette fin, une commission d’enquête parlementaire doit être envisagée de toute urgence pour déterminer les modalités, les formes de réparation de même que les moyens à mettre en oeuvre pour la réalisation des études sanitaires.
Les élus du Modemas-Ecologie : Georges-Emmanuel Germany ; Marcellin Nadeau ; Garcin Malsa ; Alfred Sinosa