— Par Robert Saé —
Non! Notre missive n’a pas pour but de “savoir ce que vous avez dans le ventre”. Cela, nous ne l’ignorons absolument pas. Nous entendons, ici, mettre cartes sur table.
Aucun analyste sérieux ne pourrait contester le fait que votre communauté, descendante des colons esclavagistes, s’est constituée en une caste qui contrôle les rênes de l’économie, qui vit territorialement regroupée et qui maintient un rigide apartheid social. Actuellement, la société martiniquaise connait un profond changement idéologique et culturel que, comme tout le monde, vous avez dû observer: Le regard posé sur votre dite communauté est de moins en moins tronqué par l’aliénation et l’ignorance.
C’est très largement qu’on dénonce la domination économique des “békés”, les privilèges dont ils jouissent auprès de l’Etat, de la justice où de certains médias. Des actions menées contre leurs intérêts, inimaginables il y a à peine une dizaine d’années, se multiplient. Manifestement, cette nouvelle réalité ne vous a pas conduit à une quelconque remise en question. Vous croyez pouvoir freiner la roue de l’histoire en vous contentant de mener des campagnes de propagande idéologique et de répression. Une fois encore, vous sous-estimez ceux que vous croyez dominer.
Pensez-vous sérieusement convaincre quiconque avec des jérémiades telles que: “Les coupables, c’est pas nous, ce sont nos ancêtres”; “Il faut tourner la page du passé et construire le présent ensemble”.
En vous accrochant à votre héritage esclavagiste et colonial, aujourd’hui encore, vous expulsez sans ménagement les occupants légitimes des anciennes terres d’habitation et vous exercez de honteux chantages sur vos salariés! En cela, vous perpétuez le crime et vous en êtes comptables. Et puisque certains d’entre vous brandissent l’étendard de la réconciliation, sachez qu’il n’y en aura jamais sans reconnaissance des crimes, sans suppression des injustices et sans réparation.
Depuis que vos abus sont massivement étalés sur la place publique, vous jouez la carte de la victimisation.
Sans rire, vous prétendez être victimes de “racisme”. Faut-il vous rappeler la définition du mot? Voilà celle donnée par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL): “Ensemble de théories et de croyances qui établissent une hiérarchie entre les races, entre les ethnies… Doctrine politique fondée sur le droit pour une race (dite pure et supérieure) d’en dominer d’autres, et sur le devoir de soumettre les intérêts des individus à ceux de la race.” Mais peut-être faut-il aussi vous rappeler la définition du mot “caste”? C’est, dit le Larousse, un “Groupe social endogame, ayant le plus souvent une profession héréditaire et qui occupe un rang déterminé dans la hiérarchie d’une société.”, précisant que péjorativement, c’est un “Groupe qui se distingue par ses privilèges et son esprit d’exclusive à l’égard de toute personne qui n’appartient pas au groupe”.
Par la magie de votre propagande, dénoncer oppression, inégalités et privilèges d’une caste deviendrait donc du racisme. Il est vrai que votre démarche s’inspire directement de celle de l’extrême-droite française qui a inventé le concept de “racisme anti-blanc” pour dénier aux communautés opprimées le droit de se défendre contre les discriminations dont elles sont victimes en Europe. La pillule est trop grosse pour être avalée!
En vérité vous le savez mieux que tous, ce n’est pas la couleur de votre épiderme que nous combattons.
Ce dont nous pouvons nous enorgueillir, nous, c’est que malgré toutes les cruautés subies depuis la traite de ceux de nos ancêtres que les vôtres ont esclavagisé, malgré les discriminations et les exactions dont notre peuple a été victime sur vos habitations et sous le régime colonial, vous n’êtes jamais parvenu à lui enlever son humanité. Vous ne parviendrez jamais à nous priver de cette intelligence qui nous permet de distinguer un Emmanuel RIMBAUD co-fondateur du Comité Martiniquais de Libération Nationale de la quasi totalité de votre caste qui a servilement appuyé l’Amiral Robert et le Régime de Vichy!
Vous ne ferez jamais disparaitre l’admiration et l’amour que j’ai pu ressentir envers mon grand-père béké, que votre caste avait exclu et jeté dans la pauvreté, parce qu’il avait épousé ma grand-mère noire. Vous ne pourrez m’empêcher d’avoir du respect pour les deux “békés” qui, il y a une vingtaine d’années, m’ont approché et m’ont parlé des difficultés qu’il y avait à secouer le joug des anciens de leur communauté. Vous ne pourrez effacer l’affection que j’ai pour mes deux petites élèves, tellement gentilles et humaines que des parents “békés”, contrairement à l’usage, avaient confié au collège public où j’enseignais.
C’est vous les racistes, Messieurs les maîtres de la caste!
Ce que nous combattons, c’est le suprématisme que vous prônez et dont vous endoctrinez les membres de votre communauté. Celui qu’Alain Huygues-Despointes a crument dévoilé dans l’émission “Les derniers maîtres de la Martinique”.
Ce que nous combattons, ce sont les pratiques monopolistiques que vous déployez sur le terrain économique et vos coups-bas visant à interdire le développement de toute entreprise qui n’appartienne pas à la caste.
Ce que nous combattons, c’est le mépris dont vous faite preuve à l’égard du Peuple Martiniquais que vous avez empoisonné en toute connaissance de cause; c’est la cruauté dont vous avez fait preuve en contraignant les ouvriers et ouvrières à semer des poisons à mains nues.
Ce que nous combattons, c’est ce cynisme avec lequel vous osez demander indemnisation pour la pollution des terres que vous avez vous-mêmes organisée; c’est aussi l’ignominie dont vous faites preuve en prétendant que votre banane serait “la plus vertueuses du monde” et en affirmant, sur la base d’un sondage truqué, que vous avez le soutien de la majorité de la population. De jeunes enquêtrices nous ont avoué que consigne leur avait été donnée de ne pas interroger des gens travaillant dans la banane ou ayant des proches ouvriers agricoles!
Ce que nous combattons, c’est le chantage scélérat manifesté à l’égard des travailleurs sainte-luciens de Beauséjour, les menaces d’expulsion qui leur sont proférées, leur interdisant tout droit à la protection.
Vous savez pertinemment que le taux de concentration de mélanine dans votre peau ou dans la nôtre n’a rien à voir avec notre combat. Nos ennemis sont tous ceux et toutes celles qui font obstacle au développement humain, qui, quelle que soit la couleur de leur épiderme, sacrifient la dignité et le bien-être des peuples l’environnement, le futur de la planète et de l’humanité, sur l’autel d’un vampirisme économique prédateur et d’un égoïsme forcené!
Pour refuser aux autres le droit de vous attaquer, vous aimez affirmer bien haut que vous aussi êtes Martiniquais. Vous avez raison sur ce point: vous l’êtes! Vous l’êtes autant que sont Brésiliens les latifondiaires qui, au Brésil, font assassiner des syndicalistes et les prètres qui se battent à leur côté. Mais, autant qu’eux, également, vous pouvez et devez être dénoncés et combattus.
Pour l’heure, vous vous pensez encore tout-puissants et intouchables!
Vous vous croyez protégés par votre collusion avec l’Etat colonial? C’est vrai que celui-ci a toujours été votre bouclier, prêt à envoyer son armée abattre vos ouvriers grévistes, à traîner en justice toute personne portant atteinte à vos intérêts, comme récemment l’ont été les militants anti-chordécone, et à fermer les yeux sur vos délits. La communauté d’intérêt qui vous lie dans les domaines de l’import-export ou dans le maintien de monocultures coloniales fonde jusqu’ici cette collusion. Mais, sachez que l’Etat français, qui n’a pour vraie famille que les multinationales, n’hésitera pas à vous lâcher quand votre situation deviendra ingérable! Certes, un ou deux milliardaires sauront tirer leur épingle du jeu, mais combien d’entre vous se retrouveront, le moment venu, seuls face au tribunal de l’histoire?
Et ce moment là approche !
Car, les temps où régnait l’aliénation qui faisaient dire à certains dominés : “sé bétjé ka ba nou manjé! Sé bétjé ka ba nou travay!”, “sé yo ka ba nou la vi!”, ces temps là sont en train de mourir. L’époque où l’on répétait que “Zyé blan ka brilé zyé nèg” est définitivement révolue. L’accès généralisé à la vérité historique et le niveau extraordinaire de connaissance d’une bonne partie de la jeunesse ont permis que soient tournées ces sombres pages.
Vous ne pouvez ignorer que des idées nouvelles ont déferlé sur la planète, renversant les frontières, trancendant les clivages raciaux et galvanisant les peuples sur tous les continents.
La mobilisation planétaire dénonçant l’odieux assassinat de George FLOYD annonce l’agonie des idées suprématistes surannées et des divisions qu’elles sèment; la condamnation de Derek CHAUVIN, quant à elle, a secoué le dogme de l’impunité.
Partout, la dynamique des luttes pour la réparation de tous les crimes contre l’humanité devient de plus en plus impétueuse.
Par millions, des voix le clament dans le monde: pour sauver notre planète et pour que survive l’humanité, il faut mettre fin au système capitaliste productiviste et consumériste, à la prédation des impérialistes et des multinationales dont vous êtes ici les agents.
Alors, messieurs les maîtres de la caste, contre vous, nous entendons bien faire en sorte que notre Martinique porte sa contribution à ce beau combat, avec dans notre camp, nous l’espérons, ceux et celles de votre communauté qui décideront de ne plus être otages de votre endoctrinement et de votre chantage sectaire. Car, leur sera salutaire autant qu’à nous-mêmes, cette voie là, celle de la vérité, de la réparation, de la construction d’un monde équitable et meilleur.
Robert SAE