L’état actuel dégradé de la jeunesse antillaise est l’un des sujets les plus préoccupants et sensibles de l’heure  !

— Par Jean-Marie Nol, économiste  —

Les jeunes des Antilles sont souvent au cœur de discours empreints de stigmatisation, révélant davantage les peurs et fantasmes d’une société en mutation que la réalité sociologique. De nombreuses critiques leur sont adressées : ils seraient mal éduqués, paresseux, réfractaires à l’autorité, égoïstes et même violents. Ces reproches, loin d’être nouveaux, s’inscrivent dans une tradition bien ancrée, non seulement dans les Antilles françaises, mais à travers l’histoire humaine. Déjà, Socrate, il y a plus de deux millénaires, dénonçait une jeunesse qu’il jugeait frivole, irrespectueuse et rebelle. Les jeunes d’aujourd’hui aux Antilles ne semblent donc pas échapper à ces représentations souvent caricaturales, marquées par des jugements globalisants et des préjugés tenaces. Pourtant, ces affirmations générales sont souvent démenties par des études et enquêtes sociologiques qui tendent à nuancer ou invalider ces « constats » qui circulent si facilement.L’une des grandes questions qui se posent est celle de la persistance de ces préjugés à l’égard des jeunes, notamment dans un contexte antillais où les mutations sociétales et technologiques sont profondes. Les jeunes des Antilles évoluent dans un environnement économique difficile, marqué par une situation inflationniste, des finances publiques sous pression, et une crise du logement qui les empêche d’envisager un avenir serein. La jeunesse antillaise fait face à des conditions d’études souvent dégradées, où l’obtention des diplômes est perçue comme compromise, ce qui engendre un climat d’anxiété. L’idée d’une « génération Z, alpha et béta sacrifiée » refait surface, amplifiée par une précarité accrue.

En dépit de ces difficultés, il convient de rappeler que les jeunes d’aujourd’hui bénéficient de conditions de vie bien plus favorables qu’il y a quelques décennies. Depuis la départementalisation de 1946, les progrès sont considérables : l’espérance de vie a augmenté de 30 %, la consommation a quadruplé , et l’accès à l’éducation supérieure s’est largement démocratisé, là où en 1960, à peine 4 % des jeunes obtenaient le baccalauréat en Guadeloupe. Malgré ces avancées, le présent reste marqué par une précarité économique qui affecte les perspectives d’avenir des jeunes Antillais. Le manque de logements abordables, des formations perturbées par des crises multiples, et une entrée sur le marché du travail jonchée d’obstacles alimentent un sentiment de désillusion. La crise économique actuelle, exacerbée par une crise de la dette, multiplie les obstacles, tandis que les promesses d’emploi s’évaporent. Pourtant, cette situation n’est pas inédite ; l’histoire a connu d’autres moments où la jeunesse s’est sentie démunie face à un avenir incertain. Alfred de Musset, dans son roman La Confession d’un enfant du siècle (1836), se plaignait d’être venu « trop tard dans un monde trop vieux », exprimant déjà ce sentiment de décalage et de déclin.Cependant, réduire la jeunesse actuelle des Antilles à une génération sacrifiée serait une erreur. Les jeunes d’aujourd’hui, bien que confrontés à des défis majeurs, sont également les acteurs d’un monde en pleine transformation technologique et sociétale. C’est cette jeunesse qui, si elle est soutenue et écoutée, peut participer à la construction d’un nouveau modèle économique et social pour les Antilles. Pour cela, il est impératif que les besoins essentiels de ces jeunes soient pris en compte, notamment en matière d’accès à un enseignement de qualité, au logement, à l’éducation familiale revisitée et à l’emploi. Ne pas répondre à ces besoins serait laisser se développer une fracture sociale encore plus profonde, éloignant une partie de la population de toute dynamique positive de construction collective d’un nouveau modèle de développement .En définitive, la jeunesse antillaise est à un carrefour, tiraillée entre des clichés anciens qui continuent de peser sur son image et une réalité économique complexe. Mais elle dispose également de ressources, de potentialités et d’un regard neuf sur le monde.

L’enjeu est de taille : il s’agit de ne pas la laisser sombrer dans la résignation ou le repli, mais bien de l’accompagner dans la construction d’un avenir porteur de sens pour l’ensemble de la société. Pour cela, il faudra dépasser les discours stigmatisants et les préjugés, et engager un dialogue inclusif qui prenne en compte les aspirations et les besoins réels de cette jeunesse. Le défi est grand, mais il est aussi l’opportunité d’une réinvention collective , car assurément selon nous, le danger viendra de l’exode massif des jeunes Guadeloupéens et Martiniquais vers la France hexagonale et l’étranger et qui aura des conséquences profondes pour les îles des Antilles , tant sur le plan économique que social. Ce phénomène, souvent qualifié de « fuite des cerveaux », constitue un véritable paradoxe pour des territoires qui peinent à combler le manque de personnes qualifiées pour répondre aux besoins locaux et impulser un modèle de développement durable et autonome. Ce départ massif des jeunes talentueux aura des effets potentiellement dévastateurs sur l’avenir de la Guadeloupe et de la Martinique, car il prive ces îles de forces vives capables de relever les défis auxquels elles sont confrontées.Sur le plan économique, l’exil des jeunes diplômés accentue la dépendance des Antilles vis-à-vis de la France hexagonale. Les secteurs nécessitant une expertise technique ou une qualification supérieure, comme la santé, l’éducation, l’ingénierie ou encore l’entrepreneuriat, se retrouvent en déficit de compétences.

En l’absence de cadres locaux pour impulser l’innovation et assurer la relève, le développement économique se retrouve entravé. Les territoires peinent alors à attirer les investissements et à créer de nouvelles opportunités. Cet exode crée un cercle vicieux : face à un marché de l’emploi local appauvri, de plus en plus de jeunes se voient contraints de partir à leur tour, alimentant ainsi une dynamique de dépeuplement qualifié.Sur le plan social, cet exode exacerbe les inégalités et les tensions au sein des communautés. Ceux qui restent, souvent faute de pouvoir partir, peuvent se retrouver marginalisés. Le contraste entre les jeunes qui réussissent en France hexagonale et à l’étranger et ceux qui restent dans un environnement où les perspectives sont limitées peut engendrer un sentiment de frustration, d’injustice et de désespoir. Cette situation nourrit une forme de dévalorisation personnelle et collective, ce qui peut pousser certains jeunes à l’oisiveté, voire à la délinquance. La perception que les « meilleurs » s’en vont et que ceux qui restent sont « condamnés » à une vie sans perspectives renforce cette dynamique. On assiste alors à une fracture sociale croissante, où les jeunes qui demeurent sur place ne veulent pas travailler et se sentent abandonnés et dévalorisés.L’un des effets les plus préoccupants de cette situation est l’augmentation de la violence. Dans un contexte où le chômage est élevé, où les opportunités sont rares, et où le sentiment d’exclusion domine, la tentation de l’économie informelle et de la délinquance devient une alternative pour certains jeunes. Le lien entre l’absence de perspectives économiques et la montée de la violence est bien documenté, et les Antilles françaises comme anglaises n’échappent pas à cette réalité.

La recrudescence des actes de violence dans certaines zones urbaines en Guadeloupe et Martinique en est un exemple concret. Ce climat de violence contribue à fragiliser davantage la cohésion sociale, alimentant un sentiment d’insécurité et de méfiance qui atteint l’ensemble de la population.En outre, cet exode massif entraîne également une perte culturelle et identitaire. Les jeunes partis s’éloignent progressivement des réalités culturelles de leurs îles, adoptant souvent des modes de vie et des référents culturels propres à leurs pays d’accueil interdisant toute velléités de retour au pays. Cette distanciation crée un vide dans la transmission des valeurs et des traditions locales. La société antillaise risque alors de se déconnecter de sa propre histoire, perdant une partie de ce qui fait sa spécificité et son identité.Face à ces défis, il devient crucial de trouver des solutions pour retenir ces jeunes talents et les encourager à contribuer au développement de leur territoire. Cela passe par la  création d’opportunités économiques locales, une politique de logement adaptée, une amélioration de la qualité de vie et un soutien accru à l’entrepreneuriat. Et il est à noter que la collectivité territoriale de Martinique ( CTM ) semble être un précurseur dans ce domaine. Mais selon moi la solution la plus réaliste est de mettre l’accent sur les initiatives de création d’associations culturelles sur le sol même de la France hexagonale en permettant de dynamiser les réseaux de la diaspora antillaise.

Il est également essentiel de revaloriser les métiers porteurs d’avenir dans les Antilles et de développer des infrastructures éducatives et professionnelles qui répondent aux attentes des jeunes. Le succès de cette entreprise dépendra de la capacité des acteurs locaux à créer un environnement propice à l’épanouissement des jeunes sur leur propre territoire à travers la création d’un nouveau modèle économique et social.

En définitive, la jeunesse antillaise est à un carrefour, tiraillée entre des clichés anciens qui continuent de peser sur son image et une réalité économique complexe. Mais elle dispose également de ressources, de potentialités et d’un regard neuf sur le monde. L’enjeu est de taille : il s’agit de ne pas la laisser sombrer dans la résignation ou le repli, mais bien de l’accompagner dans la construction d’un avenir porteur de sens pour l’ensemble de la société. Pour cela, il faudra dépasser les discours stigmatisants et les préjugés, et engager un dialogue inclusif qui prenne en compte les aspirations et les besoins réels de cette jeunesse. Le défi est grand, mais il est aussi l’opportunité d’une réinvention collective à l’aube de la quatrième révolution industrielle et technologique qui va bientôt bouleverser les fondamentaux de la société Antillaise.

« Sé jan ou ka fè kaban aw ou ka domi ».

Traduction littérale : C’est de la façon dont tu fais ton lit que tu te couches.

Moralité : Les évènements actuels ne sont pas le fruit du hasard ou on récolte ce que l’on sème surtout au pire moment .

 

Jean-Marie Nol, économiste