— Bruno Ollivier —
Malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, la presse écrite est une composante fondamentale de notre espace public, et donc de notre démocratie. On peut faire à la presse écrite beaucoup de reproches et en plus, elle collectionne les handicaps.
En premier lieu, la presse quotidienne écrite se meurt lentement. Le phénomène est ancien. Les 2/3 des quotidiens français de 1946 ont disparu. Les Français lisent de moins en moins le journal : on vend 154 exemplaires de quotidiens pour 100 habitants en France contre 459 en Suède. Et les journaux français sont plus chers. Les lecteurs sont de plus en plus âgés. La presse quotidienne a mal résisté à la télévision, et Internet semble lui donner le coup de grâce, comme c’est et ce sera le cas d’innombrables métiers, de l’enseignement aux taxis et de la banque à la médecine. En 5 ans, le New York Times, vieux de 170 ans, référence mondiale, s’est vu dépasser par le Huffington post, journal sur internet gratuit. En France comme ailleurs, les journaux papier cherchent un modèle éditorial rentable. Le Monde essaye toutes les formules possibles , Libération risque de disparaître, France Antilles Martinique et Guyane aussi. Le défi consiste à diffuser à la fois pour les internautes et pour les clients qui préfèrent le papier, en collant aux demandes nouvelles des lecteurs. Car leurs demandes ont changé.
Les journaux coulent, et pourtant la presse est un secteur rentable. Preuve en est que la presse écrite appartient majoritairement à des groupes économiques qui n’ont rien à voir avec les métiers de l’information mais y ont investi.
Le groupe d’armements Lagardère-Hachette reste actif dans la presse (Europe 1, Match, Elle, le journal du dimanche, Tele 7 jours, Football, Virgin etc.). Le Figaro appartient à l’avionneur Dassault. Les banques sont entrées dans le capital du Monde et de Libération.
Les subventions ne suffisent pas
Si les banques et les marchands d’armes ont investi dans des journaux, c’est que les exemptions d’impôts et les subventions peuvent rendre la possession d’un journal rentable. La presse, de Mickey à l’Expansion, de Closer à France Antilles, ne vit en effet que grâce aux subventions de l’Etat qui lui reverse l’équivalent de 18% de son chiffre d’affaires, selon la Cour des Comptes. Mais les subventions ne suffisent pas toujours à remplacer un lectorat qui vieillit et se raréfie. Et c’est grave. Malgré tous ces défauts des journaux et du système médiatique, la disparition de chaque journal signifie toujours un peu de démocratie en moins. La presse a permis depuis trois siècles la création de cet espace public, dans lequel on peut discuter publiquement des affaires qui concernent tout le monde. Bien sûr, les journaux tendent parfois à vouloir vendre plus du fait divers et du people que des informations et des débats sur les problèmes de tous, mais Internet ne peut pas à ce jour remplacer le journal et particulièrement la presse quotidienne régionale. Bien qu’internaute assidu, je voudrais rappeler quelques défauts de l’information sur internet.
1. Internet ne permet pas vraiment les débats parce qu’on y croise fondamentalement des gens qu’on a choisis et des informations qui correspondent à nos désirs. Sur Internet on rencontre surtout des gens qui pensent comme nous. On reçoit les informations que google, yahoo ou facebook choisissent pour nous à partir des traces que laissent nos navigations. On est en plein marketing. Les serveurs nous resservent ce que nous cherchons naturellement. Internet nous renvoie l’image du monde que nous voulons voir.
2. Internet ne permet pas toujours la réflexion parce que la lecture sur internet obéit aux lois de l’instantané et de l’immédiat. On reçoit les nouvelles dans l’instant, et seul le dernier message posté prend de l’importance, avant d’être remplacé aussi vite qu’il a remplacé le précédent. Dans deux heures, l’actualité aura changé, et ce qui faisait la une aura disparu, sans permettre une once de recul et d’analyse.
3. Internet n’est pas un média parce qu’il n’y a pas de journalistes, qu’il n’existe aucune médiation, aucune vérification de l’information, aucune éthique. Tout est au même niveau. Les rumeurs, les mensonges, la propagande ont le même statut que l’information et la réflexion. Internet n’est que rarement le lieu de débats argumentés et raisonnés.
4. Internet ne permet pas vraiment le débat démocratique et l’échange d’arguments, qui sont les fondements de l’espace public. Un débat sur Internet suit des lois particulières. Y règnent le manque total d’argument (les LoLLLL!), l’intolérance des trolls (provocateurs professionnels), le raisonnement limité à 14 0 signes (Twitter) comme le risque permanent d’atteindre le point de Godwin (moment classique dans un débat sur internet où le nazisme et Hitler deviennent les derniers arguments).
Nos démocraties sont des régimes certes imparfaits, mais dans lesquels les citoyens ont besoin de lieux, géographiques ou abstraits, pour s’informer ensemble des problèmes qui concernent tout le monde et pouvoir en débattre. Sinon, on revient à l’Ancien régime où toutes les décisions étaient prises dans le secret de la Cour du Roi, sans débat ni information préalable.
De ce point de vue, la presse permet de prendre du recul, de débattre sereinement. De ce point de vue, l’existence de journalistes, qui sont des médiateurs entre le monde, les produits des agences de presse et les lecteurs, est un acquis et une condition de la démocratie. Pour ces raisons, et quels que soient leurs défauts, nous avons besoin des journaux papiers et d’une presse écrite régionale. Pour ces raisons, il faut défendre l’existence de France Antilles Martinique et de France Antilles Guyane.
Avec leur disparition, ce serait un peu de notre démocratie qui disparaitrait.
Bruno Ollivier, Professeur en Sciences de l’Information et de la Communication, UAG.