— Par Hélène Bidard* —
Tribune à l’occasion de la Journée européenne contre la traite des êtres humains ce 18 octobre 2016.
Femme, homme, enfant, toutes les victimes de la traite sont meurtries jusque dans leur chair. Des parcours de vies volées, violées, violentées. Le travail fait par les associations à leurs côtés est indispensable et admirable. Aujourd’hui, en France, esclavage domestique, prostitution, travail forcé et dissimulé, en un mot la traite des êtres humains, ce sujet non-dit de la société, existe bien et de façon massive malgré une interdiction inscrite en droit depuis environ deux siècles. Selon l’ONU, notre pays compterait 270 000 victimes de la traite toutes formes d’exploitation confondues. La France reconnaît aussi la traite comme « parmi les activités criminelles les plus développées et les plus lucratives dans le monde. […] Elle viole les droits de l’Homme et exploite l’être humain de multiples manières. Elle est une réalité tangible et massive, qui déplace des millions d’individus d’un pays à l’autre grâce à l’action de vastes réseaux organisés qui abusent de toutes les formes de vulnérabilité potentielle des personnes concernées ».
On sait que les réseaux mafieux profitent des mouvements migratoires pour abuser de la vulnérabilité et de l’isolement de certaines personnes afin de les réduire en esclavage. Sans moyens de se défendre, la situation d’exploitation devient vite un piège. Tous les jours, les associations sont témoins de récits impensables. Elles aident les victimes à se reconstruire, à se projeter dans l’avenir et à obtenir justice. Justice comme un étendard, c’est ce que nous réclamons pour les ex-travailleuses des salons de coiffure et ongleries du 57 boulevard Strasbourg. La reconnaissance de leur statut de victime de la traite des êtres humains est nécessaire, afin que chacun-e puisse comprendre que ce ne sont pas de simples faits divers mais un trafic particulièrement lucratif pour certains, au même titre que le trafic de drogue. L’esclavage a été aboli mais existe encore.
Rendre visibles les invisibles
Nous avons besoin de sensibiliser la société, les institutions et les professionnels à cette question afin de multiplier les moyens de lutter contre la traite. Nous devons monter le niveau d’intolérance face à ces situations pour permettre aux victimes d’oser se lever et de reprendre le contrôle de leurs vies !
Voir aussi : http://esclavagemoderne.org/
Avec la ville de Paris, j’ai organisé plusieurs initiatives autour de la Journée européenne contre la traite des êtres humains du 18 octobre. Avec le collectif Ensemble contre la traite des êtres humains, qui regroupe 25 associations engagées sur le sujet, nous avons choisi cette année de mettre l’accent sur la traite des mineurs avec « #Invisibles », un court-métrage et un matériel pédagogique destiné au grand public, aux bénévoles et aux professionnel-le-s.
Du 18 octobre au 6 novembre 2016, l’exposition « Esclavage domestique » du Comité contre l’esclavage moderne, constituée de photographies de Raphael Dallaporta et de textes d’Ondine Millot, sera présentée sur les grilles extérieures de la Tour Saint-Jacques.
Enfin, une campagne d’affichage « Esclaves Aujourd’hui en France » recouvrira les murs de Paris. Car malheureusement, on peut encore être victime d’esclavage aujourd’hui dans la capitale. Cette campagne vise autant à sensibiliser les témoins qu’à aider directement les victimes via un numéro d’écoute.
Lutter contre la traite à des fins d’exploitation sexuelle est également l’une de mes priorités. Avec la campagne de prévention de la prostitution mise en place pendant l’Euro 2016 juste après l’adoption de la loi, nous avons frappé fort. Il s’agit toujours, sur le sujet de la traite, de lever des tabous. La prostitution n’est pas un choix, elle est une pratique imposée ou contrôlée par des réseaux mafieux dans plus de 90% des cas. Les prostitué-e-s sont à plus de 90% des femmes, de nationalité étrangère et dans une grande situation de précarité. La violence de l’exploitation sexuelle tue des prostitué-e-s au quotidien. Des jeunes filles, des enfants, sont mises sur le trottoir ou dans des maisons closes hypocritement appelées « salons de massage », « karaoké » ou « Sex tour Airbnb ». Nous ne pouvons plus fermer les yeux : le prix d’une passe n’est pas celui que l’on croit.
Construire la France en commun
Les solutions pour amorcer le processus d’abolition de la traite sont pourtant nombreuses : prévention et accompagnement vers la sortie de la prostitution, régularisations, multiplication des hébergements et logements sociaux, démantèlement des réseaux mafieux, insertion dans l’emploi déclaré, droit de vote des résident-e-s étrangers, scolarisation de tous les mineur-e-s…
Je veux continuer à rendre visibles « les invisibles », la route est longue, mais les associations le savent, chaque vie retrouvée est une victoire, chaque lutte menée est un pas. Je soutiens donc la proposition du collectif Ensemble contre la traite des êtres humains de faire de cette lutte une grande cause nationale.
La société dysfonctionne par l’asservissement des migrant-e-s et victimes de traite : c’est tout le pacte républicain qui est remis en cause parce que la France ne les accueille pas dans la dignité, parce que les capitalistes utilisent ces travailleurs et travailleuses sans droit en France comme une délocalisation de l’intérieur ! S’il y a encore des victimes de traite aujourd’hui, des esclaves, c’est bien qu’il existe encore des privilégiés dans notre société qui ne se privent pas de pérenniser des rapports d’exploitation, de domination et d’humiliation afin d’asseoir leur pouvoir.
Abolir toutes les formes de traite pour que chaque être humain bénéficie du droit et de la protection qu’une République doit lui donner, c’est la base d’un contrat social qui ne peut exister sans cela.
Loin des fantasmes et des gauloiseries, la France n’est jamais autant aimée et respectée dans le monde que lorsqu’elle se tourne vers celui-ci. C’est cette histoire et cette ouverture qui permettent de construire la France en commun, la France des droits humains.
*Hélène Bidard, élue PCF, adjointe à la maire de Paris, en charge de l’égalité femmes-hommes, de la lutte contre les discriminations et des droits humains.