Ann Rainville est une Américaine de Virginie. Férue de culture française, elle quittera son sud natal pour Paris, à la fi n des années mille neuf cent cinquante. Après son mariage avec un jeune Créole, elle partira s’établir en Martinique. Dans le milieu où elle tentera de s’immerger, le mode de vie clanique semble relever d’un principe fondateur ; aussi son union avec le fils d’une riche famille du cru sera-t-elle récusée comme « contre nature ». La notion pourrait être prise ici au sens que lui donne Montaigne : « On appelle contre nature ce qui est contre la coutume » ; au-delà de sa confrontation avec la virulence des normes sociales, la jeune étrangère s’inscrit dans le récit comme une sorte de révélateur d’un monde encore profondément marqué par l’économie de plantation, et les rapports aussi indéfectibles que dénaturés entre héritiers des colons et descendants des peuples razziés d’Afrique. La narration dévoile peu à peu cette tyrannie de l’histoire et des postures sociales qui en découlent ; elle croise plusieurs destins dans une trame dramatique sur laquelle passe comme un souffle de tragédie grecque où déferlent les haines et les passions.
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Antillais d’origine, Georges LENO est installé aujourd’hui en Normandie. Après Chronique des Lilas, Les illusions du sang est le deuxième ouvrage qu’il publie aux éditions de L’Harmattan.
Dans sa première publication, i s’était intéressé aux heurts de l’exil métropolitain auxquels s’affrontait un jeune Antillais. Avec « Les illusions du sang », il s’emploie à une narration pleinement ancrée dans la Martinique des années soixante ; une exploration du réel antillais qui s’opère sous un angle inédit dans la littérature francophone des Caraïbes et qui a pour arrière-plan une incursion tumultueuse dans l’impénétrable communauté des Blancs créoles (voir document en pièce jointe).
Il sera en Martinique du 24 avril au 9 mai pour assurer la promotion du livre, à travers des signatures de livres ; des interwiews radio, tv et presse écrite et des soirées débats (Diamant ; Saint Esprit ; Fort de France).
Extraits
« Parfois elle s’attardait à observer les gens dévider leur quotidien. Les patiences conjuguées des mailleurs de filets et des rhabilleurs de nasse ; les sennes, avec la moitié du village cramponnée aux cordages, et se prodiguant à ramener sur la plage le vaste traquenard empli des ultimes convulsions des poissons. Le retour des pêcheurs, les fins de matinée, la captivait autant, avec les canots halés à bras d’homme par-dessus les billots, en un ballant aérien ; les femmes, nanties de couis noircis par un long usage, se pressant autour des gommiers et qui en remettaient dans leur gouaille sans quitter des yeux le brasillement vivant dans le fond baigné d’eau des embarcations. » p. 61
« Nathalie n’avait pas eu le courage, ou la cruauté d’en dire plus. Ann vasouillait encore. Elle tentait de se convaincre que les contingences de la société, avec lesquelles elle cherchait à composer depuis son arrivée, revêtaient une bien maigre importance. Ça n’était pas si grave. Aucun arbre d’ici ne portait les étranges fruits à forme humaine de la chanson de Billie. Les bus ne comptaient pas de places réservées aux Blancs, encore moins les pissotières, dont ce pays était dépourvu. Personne n’appelait les gens noirs moricauds ; mais Nègres, ainsi que les intéressés se nomment eux-mêmes.
Ann s’en ouvrirait à Philippe. Il dédramatiserait. Il s’en était formé une habitude d’éluder ces questions. Sans doute parce qu’il ne remettait pas en cause les normes de sa caste. Elle en recevrait par maintes occasions la confirmation. Il n’accueillait jamais de personne de couleur… » p. 152