— Par Lina Sankari —
En février 1967, la Révolution culturelle accouche d’une commune populaire dans la plus grande ville industrielle chinoise. Inspirée de l’expérience parisienne, et instrumentalisée par Mao dans un premier temps, la rébellion échappe rapidement au pouvoir central.
En janvier 1967, Shanghai est en ébullition. La Révolution culturelle a été lancée quelques mois plus tôt, lorsque le président Mao a dressé les caractéristiques d’une nouvelle structure politique émancipée des bureaucrates, cette nouvelle classe privilégiée pointée du doigt pour son conservatisme. L’idée est de reprendre le pouvoir central au courant liu-denguiste (celui de Liu Shaoqi et Deng Xiaoping). Pour ce faire, il théorise l’abolition des disparités entre travaux manuel et intellectuel, agricole et industriel et la construction d’un État sur le modèle de la Commune de Paris de 1871. À Shanghai, travailleurs et étudiants se saisissent de ces directives jusqu’à déclencher la « tempête de janvier » qui, à la suite de grèves massives, aboutira au renversement de l’administration locale.
Dans les usines textiles, des mouvements rebelles surnommés « Toujours loyaux à la pensée de Mao Zedong » ou « comités de défense de la pensée de Mao Zedong », appuyés par les gardes rouges étudiants, avaient préparé le terrain à la prise de pouvoir à l’échelle municipale. « Toute la lie de la société de Shanghai », selon les termes du maire de Shanghai, Cao Diqiu. Côté rebelle, on réclame la tête des « vieux routiers capitalistes dans le parti » et des « révisionnistes khrouchtchéviens ». Le mépris du premier magistrat de la ville exacerbe les tensions et aboutit à la paralysie des usines, des transports ferroviaires et du port. Le Wenhui Daily et Libération sont aux mains des rebelles en janvier. À ce stade, Mao Zedong applaudit. « C’est une classe qui en abat une autre. C’est une grande révolution. À mon sens, beaucoup de journaux devraient être fermés. Mais il faut bien des journaux. La question est de savoir par qui ils sont dirigés. » Le président s’inquiète néanmoins des grèves – « Nous ne devons pas faire la révolution en nous isolant de la production » – et de la destitution de l’ensemble des cadres. Après la prise de pouvoir, dans leur manifeste, qui reprend les principes de la Commune de Paris, les rebelles, emmenés par Zhang Chunqiao, précisent qu’ils peuvent être destitués à tout instant. « Ce que Mao condamne aussitôt en disant qu’il faut “un noyau permanent” à tout mouvement », précise le sinologue Alain Roux. En outre, une milice ouvrière remplace en partie l’armée et des milliers de comités de médiation populaires exercent à la place des tribunaux.
Pour ses instigateurs, la Commune populaire de Shanghai constitue « la continuation et le développement de la révolution d’octobre dans de nouvelles conditions historiques », explique l’un des rédacteurs du manifeste, Xu Jingxian. Pour le nouveau pouvoir local, la Commune est un épisode transitoire avant l’organisation d’élections. Est-ce pour autant une remise en cause du fonctionnement de la République populaire de Chine (RPC) sous la houlette du Parti communiste chinois (PCC) ? « Personne parmi les rebelles n’a proposé d’abolir le parti dans son ensemble, même si beaucoup manifestaient de l’hostilité ou de l’indifférence à l’idée d’incorporer les anciens cadres locaux du parti. Même dans l’ordre du 8 février, ceux qui prônaient l’abolition du système hiérarchique montraient qu’ils continuaient à suivre la règle du parti maoïste », juge le chercheur néomaoïste Hongsheng Jiang. Le mouvement de Shanghai doit néanmoins faire face à l’hostilité des ouvriers et des cadres dits « conservateurs »…
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