Professeure à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste de l’histoire des théories économiques, Annie L. Cot rappelle que la recherche économique se modifie depuis que l’économie dialogue avec les autres sciences sociales.
La Croix : Certains grands axiomes de l’économie semblent remis en question, avec par exemple la persistance de taux d’intérêt négatifs ou la disparition de l’inflation. L’économie est-elle une science évolutive ?
Annie L. Cot : L’économie s’est constituée en discipline autonome il y a environ trois siècles. Depuis lors, le fonctionnement de l’économie n’a plus rien à voir avec ce qu’il était à l’époque où la France était un pays rural. Cela modifie la façon dont on pense l’économie.
Contrairement aux sciences exactes, l’économie a la particularité de façonner ses propres objets d’étude. Une éclipse de Lune existe quoi qu’on en dise. À l’inverse, les données économiques comme le PIB ou l’inflation sont des constructions de la théorie économique. De plus, comme d’autres sciences sociales, l’économie se caractérise par une confrontation de points de vue, de paradigmes, de doctrines.
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L’économie a partie liée avec la politique, le social, l’idéologie ou la morale. Elle ne peut donc pas produire de réponses figées, hors du temps et des évolutions du monde. Les « vérités » économiques évoluent en fonction des périodes, car les questions que l’on se pose changent, tout comme les outils dont on dispose pour y répondre.
Justement, les nouvelles technologies offrant une capacité à traiter massivement des données peuvent-elles révolutionner la recherche économique ?
A. L. C. : La théorie économique n’a cessé de s’emparer des nouveaux outils, du « tableau économique » aux équations d’équilibre général, des statistiques aux protocoles expérimentaux. Ces instruments ont, à chaque fois, joué un rôle majeur dans la recherche économique. C’est aujourd’hui le cas des « big data » qui influencent à leur tour l’évolution de la discipline, ses questions et ses réponses.
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Cependant, il ne faut pas croire qu’un nouvel outil suffise à tout révolutionner. Les théories économiques se construisent par apports successifs, par retouches ponctuelles, plus que par des « révolutions » brutales.
L’économie s’ouvre aussi de plus en plus aux autres sciences sociales. Qu’est-ce que cela peut changer dans la façon d’aborder la recherche économique ?
A. L. C. : La théorie économique a beaucoup plus évolué depuis le milieu des années 1970 qu’entre la Première Guerre mondiale et le choc pétrolier de 1973. Les nouveaux outils formels ont joué leur rôle. L’essentiel, pourtant, est ailleurs : les frontières de la discipline se sont progressivement ouvertes. L’économie dialogue aujourd’hui avec la psychologie, l’écologie, la démographie, la sociologie, la géographie, l’histoire et les sciences cognitives.
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Ce mouvement de fond modifie en profondeur la recherche économique. Il a suscité, depuis trois décennies, certaines des évolutions les plus marquantes de la discipline, à l’image de l’économie expérimentale ou de l’économie comportementale.
Or, quand on se pose des questions différentes, on aboutit aussi à des réponses, à des enseignements et à des regards différents. Tout cela ne se fait pas sans querelles et sans controverses. Mais ces dernières, en définitive, ont une vertu majeure : aujourd’hui comme hier, elles incitent à l’inventivité.
Recueilli par Mathieu Castagnet
D’après Annie L. Cot, l’économie a partie liée avec la politique, le social, l’idéologie ou la morale. /
Source : LaCroix.com