— Par Dégé —
Bien sûr nous savons tous ce qu’est l’Insolite. Vérifions-le dans le cadre déjà bien connu du Créole art Café à Saint-Pierre puisqu’on y déjeune au milieu d’objets hétéroclites anciens comme une table gynécologique, des menus cadeaux de dernière minute, des casseroles rétamées… Le concept « moderne » de cette mini galerie d’art rappelle nos magasins d’autrefois qui vendaient du pain, des fichus de madras, des coutelas, des boutons de culottes, des milans…
L’insolite a-t-il un lien avec l’ancien, l’hétéroclite, le bazar, le baroque, l’inhabituel, l’étrange…What else ? En tout cas l’effet produit semble bien être la surprise, l’étonnement, le choc, le désarroi, le dérangeant…quoi d’autre ?
Suivons le guide du PABE. Dès le rez-de-chaussée, la scénographie (*1) nous conforte avec le Crapaud surfeur*(4) ou les Lèvres*(6) : la surprise est là, on sourit, on rit même car l’Insolite et le rire sont proches dans le décalage produit par l’inattendu positif. Mais nous sommes décontenancés par la Pietà et le cartel qui accompagne les magnifiques polyptyques (*1) : il s’agit de mort ! La photographe nous propose-t-elle ici paradoxalement un chemin de vie, un cycle de création allant du figuratif le plus achevé à l’abstrait aléatoire en passant par l’imaginaire arbitraire ? Carpe Diem nous dit-elle.
Montons à l’étage.
Parfois le sentiment (ou la sensation ?) d’insolite est si personnel que le visiteur ne le ressent pas et s’en étonne : habitué aux affichages sauvages sur les murs du L 581, c’est la réaction du photographe qui surprend : pourquoi trouve-t-elle étrange le bafouement d’une loi (3) ?
La fraicheur du regard avec ces autres photographies proposant le récit d’une histoire d’amour espérée à travers une fleur et des racines évocatrices (11) insolite ? La nature ne propose-t-elle pas toujours des formes, des images révélatrices de nos pensées ? L’insolite serait une question de point de vue.
Un duo de photographes (7) nous présente un Insolite Militant contre le patriarcat et pour la protection de l’environnement. Les photos sont « choc ». Les couleurs somptueuses d’une poupée jetée dans une décharge, des champignons violets contaminant une noix de coco…d’un robinet d’eau potable jaillissent des flammes comme dans la réalité en zones d’extraction du gaz par fracturation hydraulique : la photo, forte, illustre un insolite de la violence.
L’usage du numérique n’éloigne pas encore toute émotion.
Même s’il implique que l’observateur doive faire une recherche historique Nu descendu de l’escalier (2) ou une quête esthétique Portrait de Ouka Leele (9) pour apprécier à sa juste valeur l’intelligence, la sensibilité, le travail de ces photographes pour qui l’insolite intervient à un second degré.
L’appel culturel de pratiques religieuses dans Sacrifices (15) dont la découverte au tournant d’un sentier nous glacerait, de connaissances scientifiques avec Poussières d’étoiles (5) où un homme quantique éprouve sur sa nuque la rencontre opposée des atomes de sa tête avec ceux de son coussin de pierre.
Certains photographes vont jusqu’à fabriquer l’insolite ! Construire patiemment couche après couche d’eau glacée la prison savamment éclairée de fleurs tropicales pour en faire surgir l’étrangeté, calculée dérégulée sublimée (12). Déconstruire la réalité par exemple en retournant au noir et blanc pour isoler un seul élément fortement recoloré : un vert ortie, seul végétal dans un monde minéralisé afin de se poser une des questions essentielles Où suis-je ? (8)
Mais l’insolite comme l’insolence ne se nourrit-il pas d’immédiateté, de spontanéité, pour tout dire en photographe, de réflexe, d’instantané ?
Il semblerait que l’insolite ait un lien direct avec la nature, le naturel.
Ainsi de la pause, la pose (14) où des latrines sont installées à ciel ouvert dans un lieu improbablement poétique. Sans pudeur et avec élégance, une jeune femme fait ses besoins ; sans la souffrance du Penseur de Rodin, en éternel mal de soulagement, un homme malgré la croix rouge de la toilette fait de même. De ce diptyque jaillit, de façon insolite, à contre code, à contre norme, à contre préjugé, de l’humour, de la poésie, de la joie.
De façon plus subtile et indirecte Ti-Flé (10) dégage une force poétique dont l’insolite érotique n’apparaît pas immédiatement : l’œil d’abord attiré par l’or soupoudré sur la peau noire du sujet se déplace vers la fleur de bananier, véritable trésor, objet de désir ou de castration ? Un flou artistique qui interroge plonge dans le désarroi. Une beauté réelle ou trompeuse, un érotisme trouble plurivalent… les poils s’en redressent !
Ces photographies encore. A côté d’une autre toute plasticienne par ses verticales architecturales de Trénelle, simples en apparence et nostalgiques à Nord-Plage déserté : un cochon seul et sa gamelle (deux fantômes ?), un graffiti sur le mur de la pièce vide : Ambiance. (13)
Face à l’habitude, l’insolite résiste-t-il à la répétition, à la permanence, à l’ennui ? Figé dans une photographie, un tableau, résiste-t-il et comment au temps ? Est-il possible dans l’art ?
Que de questions pour un mot aussi simple ! Nous avons vérifié que nous avons encore à apprendre ! D’autres questions encore par vous posées sur la photographie et l’Insolite, enfin des réponses nous seront données samedi 26 novembre 2022 de 15H à 17h par Dominique BERTHET. Docteur en Esthétique et Sciences de l’art, Docteur en philosophie, Professeur des Universités à l’Université des Antilles. Sa conférence au Créole Arts Café (toujours en face de la Poste) portera sur L’INSOLITE DANS L’ART. Le PABE le remercie infiniment de sa confiance et de sa participation généreuse. Venez nombreux !
Le PABE et ses invités :
(1) Michèle Arretche (scénographe de l’exposition, photographe, Présidente du Pabe) ;
(2) Nadia Burner (conceptrice de l’affiche et du catalogue) ;
(3) Claudy Dalla Fontana ;
(4) Daouïa ;
(5) Sylviane Fédronic ; (
6) Marie-Annette Fournier ;
(7) Garance et Isa ;
(8) Gérard Germain ;
(9) Hélène Jacob ;
(10) Linda Mitram ;
(11) Sylvia Sandou ;
(12) Sarrell Savilia ;
(13) Catherine Vennat ;
(14) Sandrine Zedame ;
(15) Gil Zobda
Dégé pour le PABE