Un réseau d’économistes a publié mardi 7 décembre, à l’initiative de l’École d’économie de Paris, son deuxième rapport sur l’état des inégalités dans le monde.
Il constate la persistance de fortes inégalités malgré la croissance des pays émergents. La fortune des plus riches n’a jamais été aussi élevée.
— Par Alain Guillemoles —
L’essor de nouvelles classes moyennes dans les pays émergents – particulièrement dans la Chine de l’après-Deng Xiaoping, depuis 1978 – a réduit depuis trente ans les écarts de revenus dans le monde mais ne les a pas supprimés, loin de là. « Les inégalités mondiales contemporaines sont proches du niveau du début du XXe siècle, à l’apogée du colonialisme occidental », constate le rapport sur les inégalités mondiales publié mardi 7 décembre.
Le revenu moyen par adulte dans le monde en 2021 (calculé en tenant compte des impôts et transferts sociaux) est de 16 700 € par an et le patrimoine moyen de 72 900 €. Les 10 % les mieux payés perçoivent en moyenne 87 000 € et les 50 % les plus pauvres 2 800 €. Le patrimoine moyen des 10 % les plus riches (calculé en prenant en compte les dettes) est de 550 900 € ; celui des 50 % les plus pauvres de 2 900 €…
Ce rapport est le deuxième réalisé par le Laboratoire des inégalités mondiales, un réseau mondial de chercheurs dont le siège se situe à l’École d’économie de Paris (PSE). Certains, comme Thomas Piketty, Emmanuel Saez ou Gabriel Zucman, sont connus pour leur participation active au débat public.
Leur premier rapport avait été publié en 2018. Il avait fourni une photographie détaillée de l’état des inégalités de revenus et de patrimoine. Ce deuxième rapport précise l’image et l’actualise, montrant que la pandémie a accru les écarts de richesse.
Au sommet de la pyramide, les super-riches comme Elon Musk (Tesla) ou Jeff Bezos (Amazon). Ils ne sont pas les seuls. « Les 0,01 % les plus riches, qui ont un patrimoine supérieur à 15 millions d’euros, détenaient 7 % du patrimoine mondial en 1995. Ce chiffre est de 11 % aujourd’hui… C’est considérable », analyse Lucas Chancel, codirecteur du laboratoire sur les inégalités mondiales.
La distance entre la base et le sommet de la pyramide n’a fait que s’accroître depuis trente ans. Le rapport détaille : « Les multimillionnaires ont capté une part disproportionnée de la croissance de la richesse : les 1 % les plus riches ont capté 38 % des richesses supplémentaires accumulées depuis le milieu des années 1990, tandis que les 50 % les plus pauvres n’en ont reçu que 2 %. »
L’un des problèmes pointés par le rapport est l’importance des pratiques d’optimisation fiscale, qui fait que les plus riches sont proportionnellement moins taxés que la classe moyenne. Mais depuis la publication du premier rapport, un certain nombre de choses ont changé : l’actuel président américain Joe Biden affiche une volonté d’augmenter les impôts pour les plus riches. Les années Trump ont démontré la nécessité de soutenir davantage la classe moyenne. Toutefois, le Sénat américain résiste à ces projets.
Le rapport dresse la liste des régions les plus inégalitaires. En tête, le Moyen-Orient, suivi de l’Amérique latine, de l’Afrique subsaharienne, du Sud-Est asiatique. Dans ces régions, 10 % de la population capte plus de 55 % des revenus. Aux États-Unis, c’est 45 %, en Europe 36 %.
Avec son économie sociale de marché, l’Europe apparaît comme la région du monde la moins inégalitaire : « Elle a mieux résisté à la remontée des inégalités intervenue à partir des années 1980, même si elle risque un scénario à l’américaine si elle n’y prend pas garde », estime Lucas Chancel. Il relève que la course au moins-disant fiscal a entraîné un appauvrissement des États.
La France est, en Europe, l’un des pays les plus redistributifs au monde. La part des revenus des 10 % les plus aisés est de 25 %. En parallèle, les 50 % les moins aisés reçoivent 23 % du revenu national. C’est mieux qu’en Allemagne (où cette part représente 19 %), au Royaume-Uni (20 %) et en Espagne (21 %). En revanche, les écarts restent très forts, en France, en termes de patrimoine. Un dixième de la population détient 60 % du patrimoine total, tandis que les 50 % les moins riches n’en détiennent que 5 %.
Source: La Croix