— Par Yves-Léopold Monthieux —
Les contempteurs du BUMIDOM se sont rarement attendris sur les véritables difficultés rencontrées par les jeunes gens qui sont partis sous l’égide de cette institution. On ne sache pas, en effet, qu’un parti politique martiniquais soit venu en aide aux plus malheureux d’entre eux, coupables d’avoir donné la main à une initiative gouvernementale.
Subalterne, c’est le mot utilisé par le politburo
« Subalterne », c’est le mot utilisé dans les cénacles foyalais et relayé dans les campagnes par une escouade de « petits marquis », pressés de médire leurs propres frères et sœurs et aider au dénigrement des emplois que ces derniers occupaient en France. Le BUMIDOM qui n’était pas une destination mais un facilitateur, ne s’adressait pas aux favorisés. Ceux-ci pouvaient compter sur leurs familles, l’Université (UAG), les bourses d’études ou la possibilité d’accomplir le service militaire dans le cadre rétribué des volontaires de l’assistance technique (VAT). En revanche, même si par le biais du BUMIDOM plusieurs martiniquais ont pu atteindre un niveau de carrière de premier plan, cet organisme n’avait pas d’autre ambition que de faciliter l’accès des jeunes à des emplois correspondant à leur niveau scolaire. Il est exact que la plupart d’entre eux ne pouvaient pas, l’espace d’un saut de l’Atlantique, prétendre aux fonctions d’instituteur ou d’infirmier.
Subalternes, les emplois de l’administration hospitalière d’où nous vient entre autres le foot-balleur Raphaël VARANNE, réputé être, malgré sa maman métropolitaine, un Martiniquais de référence ? Des « serpilliologues », raillaient les petits marquis pour désigner les agents hospitaliers de Paris, ayant eu souvent eux-mêmes à leur service des bonnes à tout faire, à l’abri de leurs 40% de salaires et des 30% d’abattement fiscal.
Subalterne ? Pas autant que ces emplois mal payés, sans couverture sociale et sans perspective d’une pension de retraite décente, offerts à ces domestiques restés en Martinique. Subalternes, les fonctions de gardien de la paix, d’agent des PTT ou de la RATP pour des jeunes qui n’avaient que le BEPC, ou seulement le niveau ?
Subalternes, pour ceux qui ne pouvaient compter que sur des emplois de commis et de coursier chez les commerçants du bord de mer ? Plusieurs instituteurs n’avaient-ils pas choisi de quitter l’enseignement pour la police ?
Subalternes, des emplois mettant sur les rails le facteur qui va devenir directeur régional de la Poste, l’ouvrier du BTP qui sera porté à la tête de la deuxième ville du pays, le petit fonctionnaire qui accédera à la profession de magistrat ou professeur d’université, ou le policier qui sera élu maire de sa commune à son retour en Martinique ? Il est curieux que le Parti communiste se soit à ce point prêté au dénigrement des gens d’En bas. C’est d’ailleurs de ses rangs qu’est partie la célèbre expression « poseur de briques » pour désigner l’ouvrier en bâtiment.
Aider les ouvriers à monter un peu …Oui, mais pas trop haut !
Ainsi donc, dire que les ressortissants du BUMIDOM ont exercé de sots métiers, c’est exprimer un profond mépris à l’égard des fils et filles d’ouvriers sortis de la canne à sucre. Un mépris de classe ! Mépris pour la Martinique d’En bas. Mépris envers ceux que le parti communiste, en particulier, estimait à leur place dans leurs activités de manœuvres d’usine, coupeurs ou amarreuses de cannes, muletiers ou aiguillonneurs de kabouré, et le soir venu, dans leurs cases en terre battue débordant d’une nombreuse marmaille. Une grève, de temps en temps, oui, pour obtenir une petite hausse de salaire, mais l’assurance de toujours tenir en laisse les électeurs. Les aider à monter un peu, oui, mais pas trop haut ! Pour les dirigeants mulâtres de ce parti, hostiles à la fermeture des usines, cet univers de misère et de précarité devait demeurer la place naturelle des petits-fils d’esclaves. L’insistance des dirigeants communistes à maintenir cette image de soumission du nègre à l’usine n’a d’égale que leur acharnement à décourager les petits agriculteurs de se porter acquéreur de la terre, plus particulièrement dans la plaine du Lamentin. Des parcelles qui leur étaient offertes à bon prix dans le cadre de la réforme foncière et qui ont fait, par défaut, le bonheur des agriculteurs venus du nord, de la commune de Ste MARIE, en particulier1.
Le maire communiste du Lamentin invitait les ouvriers agricoles de sa commune à refuser cette offre d’achat. Il n’hésitait pas à suggérer à une population superstitieuse de se méfier de la terre des békés qui pourrait être frappée de malédiction en raison des souffrances endurées sur celle-ci par nos ancêtres2. Mieux valait donc, pour les hiérarques du parti, maintenir les ouvriers agricoles martiniquais dans leur condition misérable que leur permettre d’accéder à la propriété de leur outil de travail. Mais n’était-ce pas conforme à la règle stalinienne selon laquelle il ne fallait pas permettre les travailleurs d’accéder à la propriété de la terre ? A la lecture des recommandations contenues dans les archives de la SICAAP3, les mêmes préventions concernant l’origine de la terre n’étaient pas opposées aux lamentinois non agriculteurs, acquéreurs de lots à usage d’habitation.
Subalterne ? Y aurait-il finalement des métiers méritant mieux ce vocable que ces activités ancestrales auxquelles avaient voulu échapper les jeunes martiniquais, soit en tentant leur avenir en France, soit en essayant d’entrer en possession de quelques acres de la terre martiniquaise ? Fort-de-France, le 16 octobre 2019 Yves-Léopold MONTHIEUX
1 Voir les extraits des registres de la SICAAP.
2 Témoignages de vieux militants communistes lamentinois.
3 SICAAP : Société d’intérêt collectif agricole d’accession à la propriété