— Recueilli par Jean-Claude Raspiengeas (à Pessac) (Infographies : Laurent Dupuis)
La cérémonie des Césars, qui … [a eu] lieu vendredi 26 février au soir, récompense le cinéma d’art et d’essai. François Aymé, le nouveau président de la principale association des salles labellisées, directeur du Jean-Eustache, à Pessac (Gironde), fait le point pour La Croix.
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Vous êtes le nouveau président de l’Association nationale des cinémas d’art et d’essai qui fête ses 60 ans. Que représente-t-elle ?
François Aymé : Elle est née en 1955 de la volonté de cinq directeurs de salles parisiennes et de quelques critiques de cinéma pour défendre un cinéma divers et de qualité, au temps de la cinéphilie militante. Aujourd’hui, l’Afcae représente 95 % de ces salles. La taille et le dynamisme de notre réseau sont sans équivalent en Europe.
Combien de films sont classés art et essai ?
F. A. : Plus de la moitié (382 en 2014), soit 57,6 %. Ils représentent 20 % des entrées. Le classement de ces films est effectué par un collège de cent personnes (exploitants, distributeurs, directeurs de festival, critiques, réalisateurs, producteurs) qui votent selon un critère essentiel : la démarche artistique.
L’Afcae organise ce vote, mission de service public, et le communique au Centre national du cinéma, qui décide de délivrer ou non le label. Nos recommandations sont généralement suivies.
Ce système possède une logique vertueuse et incitative, en permettant de juger la programmation d’une salle et d’établir le barème des subventions à attribuer qui varient de 1 000 à 100 000 € par an, soit une moyenne de 12 000 €.
Il tient compte de la réalité du marché, du potentiel de chaque salle, selon la taille des communes et la concurrence. On ne peut appliquer la même exigence aux cinémas d’une grande ville et à la petite salle en zone rurale qui ne dispose que d’un écran.
Comment s’opère cette distinction ?
F. A. : En pondérant le quantitatif par le qualitatif, le travail d’animation, les politiques en direction des scolaires, la publication des programmes et de tarifs spéciaux qui donnent droit à différents labels et à des bonus de subventions. Ou à des malus quand une salle inconfortable n’engage aucune rénovation ou quand les fermetures sont trop longues.
Comment l’environnement des cinémas d’art et d’essai a-t-il évolué ?
F. A. : Nous venons de traverser des années de mutation avec la montée en puissance des multiplexes, devenus le modèle dominant. Cette concentration, avec les circuits UGC, Gaumont, Pathé, CGR en province, a bouleversé le paysage.
Dans le même temps sont arrivées les cartes illimitées dont l’impact sur le public parisien a été considérable (1). Les DVD, les chaînes thématiques, Internet, le téléphone portable et le piratage ont achevé de déséquilibrer l’offre. Enfin, le vieillissement de la population touche encore plus le public de nos salles.
Programmer des films d’art et d’essai est-il une activité viable ?
F. A. : Les cinémas d’art et d’essai sont en grande majorité indépendants donc fragiles économiquement. Ceux qui ont beaucoup d’écrans sur des marchés importants s’en sortent mieux. Dans les petites villes et villes moyennes, où bien souvent il n’y a qu’un seul établissement, la mixité de la programmation (art et essai et films grand public) permet d’atteindre un équilibre économique.
Face à la baisse de fréquentation dans les années 1990, une grande partie des salles a été reprise ou aidée par les municipalités, surtout dans les petites villes et les zones rurales. Un cinéma sur deux est lié à une collectivité. Or, nous subissons l’effet cumulé de la baisse des dotations budgétaires, de la réforme territoriale et des changements de majorité politique.
Un cinéma sur trois en France est mono écran. Avec un seul écran, il est très difficile d’amortir les frais et d’attirer le public qui veut du choix. Le modèle économique des multiplexes a fait ses preuves. Ce n’est qu’à partir d’une certaine taille que l’on atteint un seuil de rentabilité. Un exemple : le Cinos, à Berck-sur-Mer, passant d’un à trois écrans, a triplé sa fréquentation.
Le label art et essai préserve la filière du cinéma indépendant qui, sans cette aide, ne pourrait irriguer à la fois les cinémas emblématiques des centres-villes de métropoles et certaines zones plus isolées. Tulle vient d’inaugurer un complexe de nouvelle génération, transformé en lieu de vie où le spectateur a envie de rester. Dans cette ville désindustrialisée, enclavée, le cinéma est le lieu où les habitants ont plaisir à se retrouver. En France, les salles d’art et d’essai maintiennent ainsi le lien social et la diversité culturelle.
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Les salles de cinéma en France
Sur 2020 cinémas, 1 159 (55,2 %) sont classés art et essai.
Ils assurent près de 30 % de la fréquentation totale, avec 61,20 millions d’entrées (en 2014).
Les multiplexes représentent 8 % des établissements, 30 % des écrans, plus de 60 % de la fréquentation.
En vingt ans, le nombre d’écrans a augmenté de 30 %, malgré la baisse du nombre d’établissements (3 %).
(1) La Croix du 24 février.
Recueilli par Jean-Claude Raspiengeas (à Pessac) (Infographies : Laurent Dupuis)