Les poèmes de la nouvelle année de Benoist Magnat

janvier 2017

L’œil fait le pont

entre le jour et
la nuit

La rivière coule
indifférente

 

 

* 

 

La musique joyeuse

telle les douceurs
de l’hiver

grelotte sur les
bouches des jeunes filles

 

*

 .

 

Mon cœur a froid
de toi

Je pêche dans ma
galaxie

l’immensité d’un
trou noir

 

*

 

 

A l’heure de la lune, il est cinq
heures

et les voluptés de l’enchaînement du
temps

courent dans mes veines comme un
poison mortel

Benoist

Magnat

Haïkus

janvier 2017

 

 

 

 

Chacun s’en va comme il
peut,
Les uns la poitrine entrouverte,
Les autres avec une seule main,
Les uns la carte d’identité en poche,
Les autres dans l’âme,
Les uns la lune vissée au sang
Et les autres n’ayant ni sang, ni lune, ni souvenirs.

Chacun s’en va même
s’il ne peut,
Les uns l’amour entre les dents,
Les autres se changeant la peau,
Les uns avec la vie, avec la mort,
Les autres avec la mort, avec la vie,
Les uns la main sur l’épaule,
Les autres sur l’épaule d’un autre.

Chacun s’en va parce
qu’il s’en va,
Les uns avec quelqu’un qui les hante,
Les autres sans s’être croisés avec personne,
Les uns par la porte qui donne ou semble donner sur le
chemin,
Les autres par une porte dessinée sur le mur ou peut-être
dans l’air,
Les uns sans avoir commencé à vivre
Et les autres sans avoir commencé à vivre.

Mais tous s’en vont les
pieds attachés,
Les uns par le chemin qu’ils ont fait,
Les autres par celui qu’ils n’ont pas fait
Et tous par celui qu’ils ne feront jamais.

Roberto

Juarroz,
Poésie verticale, tome 2, poème 69, traduit de l’espagnol
par Roger Munier, éditions Point Poésie.

 

 

 

 

Les cigarettes

 

Ici, un jour, c’est l’été.

Le coquelicot et le ciel bleu, bleu.

quand je dis aujourd’hui je parle

aussi d’hier et de demain.

une chambre est pleine de bruits.

ma chambre mène dans deux chambres.

à droite de la musique forte.

à gauche des traces auditives

des voitures passantes.

la droite respire et bat.

toute la journée j’ai écrit sur l‘écran,

discuté avec moi-même,

fumé des cigarettes

et observé la corneille

sur la branche nue du cerisier.

 

Tone Škrjanec

 

Traduit du slovène par
Mateja Bizjak et Pierre Soletti

in L’esprit de la
tortue est petit et très vieux

Maison de la poésie de
Tinqueux, Collection Déplacements

 

Marie
Verney

 

 

 

Moi, comme un fleuve,

Une époque de fer m’a
détournée.

On m’a changé de vie.

Elle a suivi un autre
lit, vu d’autres paysages,

Et mes rivages me
sont inconnus.

 

O combien de
spectacles j’ai manqués,

Que de rideaux levés
en mon absence et retombés!

Combien de mes amis
je n’ai jamais croisés,

Combien de villes
dont les contours

Auraient pu
m’arracher des pleurs,

Alors que je n’en
connais qu’une,

Que je saurais
retrouver même en rêve

Et à tâtons.

 

Et combien de poèmes
que je n’ai pas écrits:

Leur choeur secret,

Il rôde autour de
moi, et un beau jour

Il se pourrait qu’il
vienne m’étouffer…

 

Je connais tout,
commencements et fins,

La vie après la fin,
et quelque chose

Qu’il ne faut pas
rappeler à présent.

Et quelqu’un d’autre,

Une femme inconnue a
pris ma place, 

Mon unique place,

Et porte ici mon
légitime nom,

Ne me laissant qu’un
surnom

Dont j’ai fait tout
ce que l’on pouvait,

je le crois bien.

 

Ma tombe, hélas, ne
sera pas pour moi.

Mais qu’une folle
brise de printemps,

Ou deux mots dans un
livre de hasard,

Ou le sourire de
quelqu’un 

M’entraînent soudain

Dans cette vie
inaccomplie…

 

Cette année-là il
serait arrivé ceci, et puis cela:

Partir au loin, voir
et penser,

Se ressouvenir,

Entrer comme on
ferait dans un miroir

Dans un amour
nouveau,

Avec la sourde
conscience de trahir,

Et une ride nouvelle,

Qui n’était pas
encore là

Hier…

 

Si de là-bas pourtant

J’apercevais ma vie
de maintenant,

Je connaîtrais enfin

L’envie…

 
Anna Akhmatova
,

envoi
de Marx Hélène

 

 

 

 

 

Une
enfance à Cognac

 

Cognac. Près de l’écluse un enfant
solitaire

regarde les bateaux qui toisent
l’éclusière.

La Charente assagie sous le ciel embué

lui fait signe en passant d’une eau
désabusée.

 

Depuis que les enfants dans leurs guerres
pour rire

ont crevé son œil droit sa solitude empire.

Loin des jeux interdits l’enfant, dans son
ennui,

rêve d’accompagner l’eau qui doucement
fuit.

 

Les fils des grands bourgeois dans la cour
du collège,

face au fils d’ouvrier, montrent leurs
privilèges.

Son père méprisé range les bateaux blancs

des fabricants d’alcool, des riches
négociants.

 

Un jour il s’en ira comme font les
gabarres.

L’écluse s’ouvrira. Il rompra les amarres.

 

Pierre
Thiollière

 

 

Deux
haï-ku

 

Vent dans les sapins

Sur l’horizon lune rousse

La maison s’éteint.

 

L’ours dans la vallée,

deux aigles dans la montagne.

Pour tous le grand ciel.

 

(Pierre

Thiollière, Garrigues, 17/11/2016)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’ai
rêvé un beau Noël…

 

Pendant
la nuit de Noël 
J’avais cru ressentir 
L’amour de l’autre pour son prochain ;

 

Pendant
la nuit de Noël 
J’avais cru ne plus entendre 
La riposte des armes ;

 

Pendant
la nuit de Noël 
J’avais cru voir 
Tous les yeux sécher leurs larmes ;

 

 

Pendant
la nuit de Noël 
J’ai fait ces beaux rêves 
Hélas, à mon réveil
Il n’y avait eu la moindre trêve.

 

©
IFW128

(Iverlene

Worrel)

Ivydall
26-12-07

envoi
du Panthéon universel de la Poésie

 

 

 

Appel au vide

Les enfants marchaient au
milieu de la rivière

Ils allaient comme dans
un ventre frais

Fendant le
fil de l’eau

Coupant en deux la
rivière

Qui ne disait rien

Elle se laissait faire

Tranquillement apaisée

Impassible

Ils avançaient à pas
lents les uns derrière les autres

 

L’eau se refermait sur
leurs pas aveugles

L’eau les prenait autour
d’eux

Remplissait leurs mains
ouvertes

Ils étaient tenus par
elle

Qui ne les engloutissait
pas

La Serpentine baignait
leur corps sans inquiétude

Jusqu’au gué là-bas

Le long ventre bleu

Les mènerait les
emmènerait

Enfants entre les rives

Aux gestes délivrés.

Gérard  Lemaire

envoi de Yvette Vasseur