— Par Roland Sabra —
C’est la Jandira Bauer des « Bonnes », celle de « Psychose 4.48 » que l’on a retrouvé dans « Les pleurnicheurs » la pièce de Hanokh Levin jouée à guichet fermé les 17, 18 et 19 mai 2013 dans la salle Aimé Césaire du lycée Schoelcher. Le fil d’Ariane de ces trois pièces est l’hybris, la démesure, registre qui sied parfaitement à la metteure en scène. Le synopsis de la dernière œuvre de Levin présenté plusieurs fois dans ces colonnes est donc connu. Dans un hôpital démuni, plutôt un mouroir, trois agonisants partagent le même lit. Submergés par la douleur ils réclament la venue de la Faucheuse. Le personnel médical dépourvu de tous moyens, tente tout d’abord de calmer les moribonds en leur tenant un discours de banalisation du passage de mort à trépas, mais devant l’insuccès de ce remède, il décide de détourner l’attention des malades en leur jouant une pièce de théâtre. Les infirmières ou médecins , peu importe, choisissent « Agamemnon », pièce joyeuse comme chacun sait, puisque le sympathique héros, pour revenir en vainqueur de Troie avait dû entre autres, consentir au sacrifice de sa propre fille, puis provoquer une peste dévastatrice parmi les siens, puis se fâcher grave comme diraient les élèves, avec Achille, enlever plus ou moins la fille du roi vaincu, lui faire deux enfants etc. La pièce commence au retour d’Agamemnon auprès de Clytemnestre, sa femme, accompagné de maîtresse ( Cassandre) et enfants. La bonne épouse va se venger du sacrifice de sa fille et laisser parler sa jalousie en assassinant Agamemnon.
Il y a plus drôle c’est vrai, mais bon, Laurent Baffie n’avait pas encore écrit « Toc Toc » et Hénokh Levin ne connaissant sans doute pas la troupe « Courtes Lignes ». On ne le regrettera pas.
Si l’auteur revisite les mythes fondateurs de la culture occidentale c’est pour les mettre en abîme avec la quotidienneté d’existences prosaïques faites de petites choses qui finissent parfois, dans des circonstances particulières comme la maladie ou l’agonie par envahir la totalité de l’espace et du temps. Comme lors d’un concert une envie de pisser qu’on ne peut pas satisfaire et qui inexorablement, méthodiquement vous envahit au point de ne plus rien vous faire entendre de la partition que l’orchestre exécute. C’est dans le télescopage de deux registres de discours totalement hétérogènes que se dégage un humour grinçant, désespéré, noir comme hier soir. Ce qui fait rire n’est pas la réalité mais ce qu’on en dit, non pas le sens, mais son interprétation. Le décalage et l’absurde font émerger les dérèglements de la vie en société certes, mais aussi de la vie tout simplement.
Le parti pris théâtral de Jandira Bauer est en totale harmonie avec le propos de l’auteur. Théâtre dans le théâtre qui se regarde se théâtraliser dans un sur-jeu poussé à l’extrême, totalement assumé et qui fait surgir le rire par excès. À la mise en abîme de l’auteur répond une double mise en abîme de la metteure- en scène. La troupe de comédiens amateurs joue à jouer une troupe d’amateur sur un mode théâtral démodé dans lequel faire sensation est plus important que de faire sentir. Une des Clytemnestre, elles sont trois à se partager le rôle, emprunte au Malraux de l’hommage à Jean Moulin les intonations de voix, quand d’autres acteurs semblent avoir fait leurs classes avec Sarah Bernhard si ce n’est à l’école des Jésuites du XVI ème siècle : le jeu se confond par moment avec la harangue et la déclamation. Du théâtre antique il ne manquait que les masques amplificateurs de voix puis que l’agrandissement de la taille des comédiens, technique chère aux Anciens, est utilisé par exemple, pour une figure du Père par une comédienne juchée sur les épaules d’un autre, le tout enveloppé d’un drap blanc. A ce propos le registre des contrastes et des oppositions est renforcé par le jeu des couleurs de la scénographie et des costumes, blanche et noire exclusivement, ainsi que par un voilement-dévoilement des comédiens à l’aide des toiles de lin blanc, linceuls ou tchadors si l’on veut, dans lesquels ils se cachent et se montrent alternativement. La première scène celle d’exposition est spectaculaire. Elle repose sur la montée des cris, des hurlements de douleurs des agonisants dans un anonymat que seul vient rompre opportunément le glissement d’un voile. D’emblée on reconnaissait là une des marques du travail de Jandira Bauer avec ce sens très précis de l’occupation de l’espace, de l’utilisation du plateau.
Ce type de sur-jeu qui convoque sans coup férir le rire, a ses limites que la metteure en scène connaît. A la fin de « l’Agamemnon », elle demande bien sûr à ses comédiens de changer de champ de jeu. Virage pas facile à prendre et qui méritait d’être plus accentué. Il faut dire que les comédiens ont été intensément sollicités et que tout amateur qu’ils soient ils ont été dans l’ensemble une tête au dessus d’eux-mêmes. En un mot ils ont été dirigés.
Le public s’est un peu partagé. Enthousiasme pour la majorité, réserve pour quelques uns. Encore une fois Henokh Levin n’est pas un auteur boulevard, « Les pleurnichards » ne sont pas « Mon cul sur la commode ». On peut le déplorer, mais on peut aussi s’en réjouir.
Fort-de-France, le 19 mai 2013,
Roland Sabra
Compagnie Activ’Art 2
Cours de Théâtre
Création 2013
Metteure en scène Jandira BAUER
Assistante à la mise en scène : Anne GRANDHOMME
Lumière : TORRIEP
Musique: MAI(AD’M
AVEC :
ASSUREUR NAIAChA
BRISSON Maryvonne
CUOMO Silvana
DAUNAR Benjamin
DAUNAR Lucas
GERMANY GiovannY
MARICNAN Marie Chantal
MAURICE Chris
PINTOR Marie Claire
RODULFO Christiane
ZAMOR Lydia