— Par Nadjib Touaibia —
« Le Prix de la dignité », c’est le nom du rapport choc qu’Oxfam vient de sortir. L’ONG y anticipe un basculement massif dans la misère à travers le monde, suite à l’épidémie du coronavirus. Ce prix de la dignité, c’est celui à payer d’urgence au niveau de la communauté internationale pour faire face à une spirale vertigineuse, de nature à enraciner les pays pauvres dans le sous-développement… Un demi-milliard de personnes supplémentaires pourraient basculer dans le dénuement. À l’approche de réunions décisives qui auront lieu la semaine prochaine entre la Banque mondiale et le Fonds monétaire international et entre ministres des Finances du G20, les pays riches sont au pied du mur.
C’est l’autre conséquence épouvantable de la pandémie : l’extension de la pauvreté, le creusement des inégalités dans un monde déjà miné par ces fléaux… Un demi-milliard de personnes supplémentaires, entre 6 et 8 % de la population mondiale, pourraient basculer dans le dénuement, alerte Oxfam dans un rapport intitulé « Le prix de la dignité ». Une sombre perspective décrite « à l’approche de réunions décisives qui auront lieu la semaine prochaine entre la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) – virtuellement du 17 au 19 avril – et de la réunion des ministres des Finances du G20 le 15 avril ». L’ONG appelle les pays riches à l’adoption d’un « plan de sauvetage économique pour tou-te-s afin de maintenir les pays et les communautés pauvres à flot ». Ces derniers entrent d’ailleurs d’ores et déjà dans une crise économique avant même la crise sanitaire, qui s’annonce désastreuse vu les très faibles capacités de riposte.
Les effets du confinement sur l’économie informelle
Dans les seuls pays du Maghreb, des millions de travailleurs de l’ombre, sur les marchés informels, se trouvent subitement confrontés à l’absence de revenus. La contrainte du confinement barre la route à des centaines de jobs au noir, vendeurs à la sauvette, gardiens de parking, femmes de ménage, manœuvres et autres emplois mille fois précaires. « Ils sont des millions à ne plus pouvoir aller dans la rue en quête de quelques sous pour les besoins de leurs familles, mais pas seulement, relève Robin Guittard, porte-parole d’Oxfam. Les économies de ces pays-là sont dès à présent ébranlées au plan macroéconomique. Quelque 83 milliards de dollars d’investissements étrangers ont déjà été retirés. Les cours des matières premières sont sensiblement en baisse, – 21 % pour le cuivre, – 61 % pour le pétrole et – 15 % pour le café il y a juste quelques jours, sans compter l’effondrement de l’activité touristique et… les hausses des taux d’intérêt à plus de 3,5 %. » La spirale est vertigineuse, de nature à enraciner les pays pauvres dans le sous-développement.
Vite, l’annulation des paiements de la dette
Dès lors, la réponse se doit d’être « rapide et massive », insiste le porte-parole. L’ONG recommande l’annulation des paiements de la dette redevable à brève échéance à hauteur de 400 milliards de dollars pour les pays à faibles revenus, « de l’argent qu’ils pourront investir dans les politiques d’urgence face à la pandémie ». L’acquisition des moyens de protection représente en effet des dépenses colossales, qui plus est sur des marchés tendus. Les stratégies sanitaires à mettre en place sont autrement plus coûteuses que celles des pays nantis. Nul doute que les manœuvres budgétaires pour y parvenir vont laisser sur le carreau des millions de personnes.
De façon globale, si rien n’est fait, la régression pourrait être d’une dimension catastrophique, estime Oxfam, dont les récentes analyses éclairent le chemin escarpé qu’emprunte désormais l’humanité tout entière. « Cela pourrait constituer à l’échelle mondiale un recul de dix ans dans la lutte contre la pauvreté, et un recul de trente ans dans certaines régions comme en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord. Plus de la moitié de la population mondiale pourrait désormais vivre sous le seuil de pauvreté à la suite de la pandémie », souligne le rapport.
Dans les circuits des économies libérales, l’argent coule à flot
Inévitablement, c’est aussi l’inégalité qui va se creuser davantage partout dans le monde. « Les travailleurs et travailleuses les plus pauvres dans les pays riches et pauvres seront les premiers impactés économiquement car ils sont moins susceptibles d’occuper un emploi formel, de bénéficier de protection sociale, de percevoir une indemnité chômage ou maladie ou d’avoir la possibilité de télétravailler. Et les femmes, en première ligne de la mobilisation face au virus, sont susceptibles d’être les plus durement touchées financièrement », selon l’ONG. « Le prix de la dignité » est ainsi évalué à l’aune des responsabilités des pays riches envers le reste du monde. Oxfam énumère une série de mesures (à lire ici), dont l’institution d’impôts « de solidarité d’urgence en taxant les bénéfices extraordinaires, les plus grandes fortunes, les produits financiers spéculatifs et les activités ayant un impact négatif sur l’environnement ».
Une chose est sûre, l’argent coule à flots dans d’innombrables circuits des économies libérales. Son usage à des seules fins d’enrichissement exponentiel de nababs est un manque à gagner pour le progrès social. Si l’on suivait l’ONG sur l’annulation des échéances de dette immédiate afin de fournir de la trésorerie aux pays pris à la gorge dans le contexte de la pandémie, « le Ghana pourrait fournir 20 dollars par mois à chacun des 16 millions d’enfants, de personnes handicapées et de personnes âgées du pays pendant six mois », précise-t-on. Le pays s’en sortira ainsi provisoirement si ses créanciers s’acquittent de ce « prix de la dignité ». Mais il verra peut-être un jour le bout du tunnel, à la seule condition d’une rupture radicale avec le schéma actuel des relations Nord-Sud, hors du pillage des ressources, de l’échange inégal et de la pression de l’endettement. Même vaincu, le coronavirus laissera cette exigence intacte.
Source : L’humanite