— Tribune de Robert Saé —
Le monde actuel vit dans un contexte où les pays impérialistes, après des siècles de colonisation et d’interventions militaires, ont pu imposer leur hégémonie à l’échelle planétaire. Les institutions internationales et l’économie mondiale ont été structurées de telle sorte que ces dits pays et leurs gouvernements – qui sont les bras armés des grands capitalistes et de leurs multinationales – imposent partout leur loi. C’est vrai que ce monde est en pleine mutation, que des puissances émergentes secouent l’édifice et que la suprématie des impérialistes occidentaux est dans son crépuscule. Mais, pour l’essentiel, l’ensemble des pays dominés reste dans une situation d’intolérable dépendance*.
La vie économique est tributaire des politiques monétaires décidées par les maitres occidentaux de la finance. Elle est dépendante des escales de la croisière des investisseurs et des spéculateurs en quête de profit maximum. La guerre que se mènent les puissances rivales pour le contrôle des régions riches en matières premières est un obstacle permanent à la stabilité et à la sécurité du monde. Les impérialistes qui contrôlent le « marché » au plan international, ne permettent aucune forme de concurrence dans les pays dominés. Les instances qu’ils contrôlent (OMC, Commission Européenne, etc.), les traités de libre échange qu’ils imposent, interdisent toute possibilité pour ceux-ci de se protéger. Quel observateur sérieux pourrait contester cette réalité ?
Personne ne peut ignorer les effets de la dépendance mortifère ainsi établie. Et pourtant, dans la plupart des pays dominés, dont le nôtre, des « élites » s’échinent à persuader l’opinion que le « développement » et la résolution de nos problèmes pourraient venir de notre capacité à séduire les investisseurs, à choisir de bonnes niches, à être « compétitifs » ou à convaincre « l’Europe » de tenir compte de nos « spécificités ». Bref, il faudrait nous ancrer davantage encore dans la dépendance.
Une réalité indéniable
Jour après jour, on peut constater les pratiques maffieuses auxquelles se livrent les gouvernements des puissances occidentales sur la scène mondiale : Les institutions internationales qu’ils contrôlent (OMC, Conseil de sécurité de l’ONU, CPI, etc.) bafouent ouvertement la souveraineté des Etats, décrètent embargos et sanctions, coordonnent des agressions militaires, pendant que leurs services secrets soutiennent des terroristes et organisent la subversion dans les pays mettant en cause leur domination.
Partout, la culture individualiste et bestiale qu’ils diffusent massivement dans leurs médias, désagrège le tissu social, générant désarroi, violence et terrorisme. Partout, les politiques barbares en matière de migration qu’ils mettent en œuvre attisent le racisme et la xénophobie rendant impossible la paix sociale.
Chaque année amène son lot de scandales, où l’on apprend que les multinationales déversent sciemment sur la planète entière des médicaments et des aliments frelatés qui déciment les populations. Et puis, qui ignore encore que le productivisme et l’anarchie impliqués par leur « libéralisme » sont responsables du changement climatique et des catastrophes qui l’accompagnent, annonçant une crise mondiale de l’alimentation ?
Dans ce contexte, une chose reste sûre : quel que soit le degré de servilité dont feront preuve les partisans de la dépendance, les gouvernements ne dérogeront pas à la feuille de route sur laquelle sont gravés le désengagement de l’Etat, la suppression des subventions et des dérogations, les directives de sabotage des services publics édictées par Bruxelles, la loi de la jungle développée par les traités de libre échange. Pendant ce temps, nos « élites», cravate autour du cou, serinent que « booster l’entreprenariat féminin », « savoir se vendre » et autres blablabla permettront à notre pays de se « développer ».
Croyez-vous vraiment que, vu leur niveau d’instruction et d’intelligence, les dirigeants politiques et les intellectuels locaux partisans de la dépendance ne sont pas conscients de la cruauté dont font preuve les pays impérialistes et leurs multinationales pour maintenir leur hégémonie ? Pensez-vous qu’ils ne réalisent pas l’échec des politiques vantées et appliquées dans notre pays, depuis la loi d’assimilation de 1946 ? Peuvent-ils ignorer que les « aides » annoncées par les gouvernements occidentaux relèvent généralement d’effets d’annonce et que, si des financements sont effectivement réalisés, ils servent essentiellement à satisfaire les besoins de leurs administrations et à permettre que leurs entreprises captent les marchés, excluant toute possibilité de développement autocentré.
Comment expliquer, alors, la propension de cette « élite » à s’ancrer dans la dépendance ? Pourquoi diabolise-t-elle avec un tel acharnement les partisans de l’indépendance ?
Les ravages de l’aliénation
De tous temps, dans les pays colonisés et néo-colonisés, des individus – membres de classes privilégiées ou aspirant à le devenir – ont servi les intérêts étrangers. Motivés par un choix de classe et privilégiant des intérêts égoïstes, c’est en toute conscience qu’ils développent une propagande visant à détourner le peuple de la voie de l’émancipation. Ce qui les intéresse avant tout, c’est de profiter d’un système dans lequel ils aspirent à devenir des notables aux poches pleines.
Chez nous, cette réalité se double d’une dimension pathologique. Frantz FANON a magistralement décrit ce phénomène d’aliénation qui touche les élites en pays colonisé. Formaté par l’éducation dispensée par le colon, obnubilé par le désir de ressembler au porteur de « la » civilisation, le partisan de la dépendance n’accepte pour vérité que celle qui sort de la bouche de l’Autre et de l’autre bord.
Caricature by Robert Seymour
Certains, conscients que leurs choix politiques réactionnaires sont difficilement justifiables trouvent un prétexte peu glorieux pour se dédouaner : « Le peuple n’est pas mûr! Il a peur de l’indépendance ! » S’il est bien vrai que la désinformation, le conditionnement et l’ignorance entretenue* ont effectivement pour conséquence que la majorité a une vision diabolisée de l’indépendance, contrairement à ceux qui en prennent prétexte pour se vautrer dans la dépendance, ceux qui se battent pour la défense des intérêts et du bien-être de notre peuple, choisissent courageusement de défendre des principes, d’organiser la résistance et la lutte pour l’émancipation, d’user de pédagogie afin que notre peuple, en toute connaissance de cause, choisisse de prendre son destin en mains.
L’aréopage constitué par une bonne part de « l’élite » intellectuelle, des dirigeants politiques et des agents économiques du secteur privé*, fait tout pour maintenir notre pays dans une situation de dépendance quand l’urgence c’est de le préparer à affronter les conséquences des catastrophes naturelles, des crises alimentaires et sanitaires, économiques et monétaires, des conflits militaires qui pointent à l’horizon. Cela, nous le savons, il sera impossible de le faire sans la liberté d’initiative et un Pouvoir politique Martiniquais, autrement dit, sans la rupture des liens de la dépendance.
les partisans de la dépendance sont totalement irresponsables !
* Le contenu des programmes scolaires, le sabotage des services publics d’éducation, l’information tronquée et le déversement de contre-vérités par les partisans de la dépendance en sont directement la cause. La fameuse histoire du « chat an sak » lors de la consultation sur l’article 74 de la constitution Française l’illustre parfaitement.
*curieusement, ce sont les seuls à être qualifiés de sociaux-professionnels.
* La dépendance c’est « la relation qui fait qu’une chose ou qu’une personne dépend d’un autre, lui est subordonnée *». Dépendre de, c’est « ne pas pouvoir exister, ne se réaliser que grâce à l’action de » l’autre et « par extension, être sous l’autorité de » ce tiers. (Cf. Bordas Logos)