— Par Anna Musso —
En installant un conseil scientifique dominé par des neuroscientifiques, le ministre de l’Éducation nationale entend proposer des méthodes d’enseignement « plus efficaces »… Une décision qui inquiète les acteurs du monde éducatif. Retrouvez notre table ronde avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, Bernadette Groison, secrétaire générale de la Fédération syndicale unitaire (FSU) et Bertrand Geay, professeur de sciences politiques, spécialiste des questions éducatives.
Pourquoi choisir de mettre en place un conseil scientifique de l’éducation nationale, présidé par Stanislas Dehaene, spécialiste des neurosciences ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
La République est née de l’esprit des Lumières ; l’École est née de la République ; l’École est ainsi d’une certaine manière la petite-fille des Lumières. Si nous nous éloignons de cela, nous nous éloignons de ce que nous sommes. La science, la connaissance, c’est un bien commun toujours en progression qui nourrit notre société. Il est donc essentiel que la politique éducative soit éclairée par les recherches scientifiques les plus récentes. Aux côtés d’autres instances de l’Éducation nationale nous avons désormais un Conseil scientifique composé de chercheurs reconnus dans différentes disciplines qui mettent leur savoir, leur recherche, au service des progrès des élèves. Les expérimentations et la comparaison internationale vont nous permettre de dépasser des clivages – qui ont trop longtemps paralysé l’école – et donner aux professeurs des outils pour travailler au plus près des besoins des élèves. La grande question de notre temps est « comment ce monde de plus en plus technologique peut-il être un monde plus humain ? ». Le Conseil scientifique nous aidera à agir dans la bonne direction pour répondre politiquement à cette question.
BERNADETTE GROISON
Le ministre de l’Éducation a décidé de placer le débat éducatif sous le signe des neurosciences, la mise en place de ce conseil scientifique l’illustre. Il s’agit de développer une pédagogie fondée sur des preuves scientifiques. Ce conseil consultatif a pour mission de faire des propositions sur le contenu des formations enseignantes ou sur les manuels scolaires. Quelle pertinence d’un tel conseil quand nombre d’instances, comme l’inspection générale, le Conseil supérieur des programmes (CSP) ou encore le Centre international d’études pédagogiques (Ciep), en partenariat avec le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), offrent déjà une expertise et des propositions d’outils à développer ?
BERTRAND GEAY
Réunir des scientifiques reconnus et motivés pour agir en faveur de l’Éducation nationale est une bonne chose. De la même façon, les objets de réflexion confiés à ce conseil (les manuels scolaires et la formation des enseignants) sont tout à fait importants. Ce qui est problématique, c’est, en effet, que chaque ministre mette en place de nouveaux dispositifs de ce type, avec chacun un objet plus ou moins articulé aux précédents, et un « bouquet » d’experts correspond en gros à la politique qu’il a de toute façon décidé de mettre en place. Il paraît ainsi évident qu’il y a pour le moins des recouvrements entre les services de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), du Cnesco, du CSP, de la Direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) et de l’Institut français de l’éducation (IFE). On ne fait de cette façon que rejouer dans le champ bureaucratique les oppositions qui existent dans le champ intellectuel et dans le champ politique. Ce qui manque dans l’éducation, c’est un institut de statistique, d’évaluation et d’expérimentation disposant d’une large autonomie et de véritables moyens, auquel les enseignants et les chercheurs pourraient être associés.
Jeudi, 25 Janvier, 2018
Humanité des Débats