Festival de Trinité
— Par Roland Sabra —
En clôture du festival de Théâtre Amateur de Trinité Jacques-Olivier Ensfelder présentait les désormais célèbres » Monologues du vagin« . Jacques-Olivier Ensfelder est un ancien élève de l’école supérieure d’art dramatique de paris, il a joué dans de nombreuses pièces de théâtre à la télévision et au cinéma. Prix du meilleur acteur au festival caribéen du court métrage, et prix du scénario d’outre mer organisée par RFO aux festivals de Cannes, il s’adonne à l’écriture et a publié deux recueils de poèmes aux éditions Librairie Galerie Racine. Il est aussi intervenant en milieu scolaire agréé DRAC et Éducation Nationale, et professeur d’art dramatique. Un homme du métier en quelque sorte. La pièce de Eve Ensler a beau avoir fait le tour du monde, été jouée des milliers de fois, mise en scène pas loin d’une centaine de foi, elle garde une charge corrosive absolument délicieuse. Ensfelder a choisi de représenter sur scène le bureau de l’auteure, dans lequel vont défiler les femmes venues témoigner des rapports qu’elles ont avec leur sexe, leur vulve, leur vagin, etc. ( la liste et longue et c’est d’ailleurs l’objet d’une saynète très drôle) de ce qu’elles en font, de ce qu’elles attendent que les autres, hommes ou femmes, en fassent, et d’une façon plus générale de la considération dûe à cette partie de leur anatomie. L’éventail des cas représentés est assez large pour plonger le spectateur de l’hilarité la plus grande, à la gène la plus extrême quand une femme bosniaque vient faire état des viols systématiques qu’elle a subis, lors de la dernière guerre qui déchira ce que fut la Yougoslavie. Il y a aussi cette narration d’une femme fontaine, qui lorsque les émois sont trop forts se met à couler, et qui saisie d’effroi devant ce flot de plaisir, à peine métaphorique, décide de stopper toute activité sexuelle jusqu’au jour où… Il y a la motarde homosexuelle qui dédie sa vie au plaisir des femmes qu’elle a décidé de faire jouir, il y a la militante de l’orgasme à plein temps et qui recense tous les types de cris qu’il génère, c’est à pleurer de rire, il y a, il y a…
Les prestations sont inégales, les répétitions ayant eu lieu dans un espace fermé, étroit, la première sur le plateau a connu quelques difficultés, placements hasardeux des comédiennes qui elles-mêmes avaient du mal à placer leur voix, par moment inaudible, maladresses de débutantes qui en marchant au hasard croyaient occuper le plateau auquel elles n’étaient pas habituées, toutes ces imperfections n’ôtaient en rien au plaisir du spectacle. Les techniciens se battaient, comme toujours dans cette salle, avec les lumières, qui n’ont jamais été refaites depuis des années et pourtant la magie opérait. Il faut dire, en le regrettant, que la municipalité avait mis la salle à disposition de la troupe moins de deux heures avant la première. Un festival low-coast a-t-on déjà dit!
Le plaisir, cause oblige, était là plus sûrement même que lors des précédentes tentatives de mises en scènes martiniquaises qui avaient bénéficié pourtant, de moyens autrement qualifiés que ceux dont disposait cette troupe amateur. L’imperfection même enveloppait ces récits d’une touche de pudeur comme si une révélation de choses si intimes, comme si un témoignage tellement tu jusqu’à présent, comme si secret ou un aveu trop longtemps retenu était livré là à un public de confiance. La salle majoritairement féminine, il faut croire que la sexualité féminine n’intéresse pas beaucoup les hommes, s’est reconnue, dans ce qui était rapporté sur scène. On comprenait mieux, du coup, le metteur en scène quand il affirmait que parmi ces comédiennes certaines s’étaient engagées dans l’activité théâtrale comme dans une thérapie. A les regarder après le spectacle, on avait la confirmation que le plaisir consiste à mettre des mots sur la jouissance, tant elles étaient rayonnantes, même si certaines n’avaient eu sur scène de grand flash. L’amour ça ne se commande pas, ce n’est jamais deux fois la même chose et c’est sans doute pourquoi… on recommence.
Il faut espérer que ce festival décentré par rapport à la ville-capitale, se pérennise, qu’il soit mieux organisé, que la municipalité investisse dans une manifestation qui manque cruellement à la Martinique. Il serait souhaitable qu’une série de prix soit décernée. Un prix du meilleur spectacle amateur, de la meilleure mise en scène, de la meilleure comédienne , du meilleur comédien etc. Rien de tel n’existe en Martinique alors que les troupes, les pratiques de théâtre sont multiples, isolées, avec cette propension qu’à le pays à reproduire en son sein la logique de l’archipel et son peu de communication. Monsieur Manscour, pour quelques dizaines de milliers d’euros vous pourriez offrir à la Martinique, à ses comédiens amateurs, au public un espace d’expression pour un art plus profondément ancré au cœur des populations que ne semble l’imaginer vos pairs en politique. Allez Manscour encore un effort!
Roland Sabra
le 08/06/08