— Par Yves-Léopold Monthieux —
Je viens d’ouvrir l’épais ouvrage co-écrit par Patrick Bruneteaux et Olivier Pulvar Les Métropolitains à la Martinique, une migration de confort. Dès la lecture du titre on peut se dire : tiens, voilà encore du grain à moudre pour les pointilleux de la sémantique révolutionnaire. On se serait attendu de la part d’universitaires à une approche décoloniale du titre. En effet, le mot métropolitain fait généralement bondir ceux que les grands esprits ont convaincus qu’il ne serait pas conforme à la réalité des rapports entre la France et la Martinique. Ainsi donc, cette dernière serait colonisée mais ne dépendrait pas d’une métropole ; c’est plutôt singulier. On a un colonisateur, il est la cible de nos critiques, on ne le lâche donc pas. Mais on refuse de s’encombrer du vocable « métropole » auquel il est corrélé et qui rappelle trop l’insupportable dépendance. Mais la lecture du livre devrait éclairer sur le choix sémantique des auteurs. C’est à se demander jusqu’où peut se nicher la fierté nationale martiniquaise.
Dès la page 9 de l’ouvrage, dans un « avertissement « qui ne dépasse pas 40 lignes, plus de la moitié du texte est consacrée aux deux « marronniers » qui meublent de façon systématique le moindre essai écrit sur la Martinique : l’expression saisissante d’Aimé Césaire, génocide par substitution, et la fameuse Lettre de Pierre Messmer à son secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer. On pouvait penser que la vérité serait fixée une fois pour toutes dans ce pavé de près de 600 pages qui a nécessité, disent ses auteurs, dix ans de travail universitaire. Concernant la missive du Premier ministre Pierre Messmer qui recommande pour des raisons politiques évidentes l’installation de Français européens en Nouvelle-Calédonie, combien de fois n’a-t-elle pas été présentée dans les cénacles comme visant expressément la Martinique ? Faire référence au concept de « colonie de peuplement » ne saurait faire fi des différences entre les deux territoires de Martinique et de Nouvelle-Calédonie. Un, la N.C est 18 fois plus grande que la Martinique qui, en revanche, détient une population supérieure : 360 000 habitants contre 271 000 en N.C. Deux, la Martinique qui détenait déjà le plus fort taux démographique de l’Outre-Mer français ne pouvait pas recevoir comme en N.C de renforts de population. Trois, il existe en N.C un peuple canaque préexistant à la colonisation tandis que la créolisation est l’aspect essentiel du peuple martiniquais.
Plus symptomatique se révèle la riche formule génocide par substitution que tous ceux qui écrivent quelque chose sur la Martinique croient devoir citer. Dans son récent article Quel avenir pour la Martinique compte-tenu de sa situation démographique, la docteure Julie Ostan-Casimir indique que l’arrivée de fonctionnaires métropolitains aux Antilles à des postes de responsabilités conduisit en 1977 Aimé Césaire, … à qualifier cette tendance de génocide par substitution ». C’est quasiment le mot à mot du texte de Patrick Bruneteaux et Olivier Pulvar qui, encore plus précis sur la date, ajoutent le jour et le mois : 13 novembre 1977. Or ils ont tort tous les trois car Aimé Césaire a prononcé cette expression deux ans plus tôt à l’Assemblée nationale. En réalité l’année 1977 était celle de l’installation des H’mongs en Guyane et l’erreur tient à la confusion entre cet épisode qui a été très médiatisé et un projet ministériel qui a fait long feu et que la presse n’a pas relevé à l’exception, me semble-t-il, du quotidien Le Monde. D’ailleurs, la cartouche de Césaire en mode de pépite sémantique avait été longtemps ignorée.
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En ce 13 novembre 1975 à l’Assemblée nationale, Césaire s’opposait au projet du secrétaire d’État pour l’Outre-Mer en vue de l’installation de nouveaux arrivants en Guyane. Oui, en Guyane, pas en Martinique, pas en Guadeloupe ! En Guyane où le BUMIDOM était quasi inexistant et ou aucun mouvement croisé n’était prévu. Le nouveau projet était ouvert aux Français d’Europe et d’Outre-Mer. D’ailleurs, dans sa longue intervention, Aimé Césaire n’a pas comparé le projet mort-né à celui du BUMIDOM qu’il n’a pas cité une seule fois. Mais sans aucun doute l’amnésie des chercheurs tient précisément au fait que le projet gouvernemental n’a jamais vu le jour et que seule la formule expressive avait retenu l’attention.
Par ailleurs, dans les deux productions citées il a été opposé, pour les uns, le départ des migrants « vers la métropole pour occuper des emplois dans le secteur secondaire et tertiaire » et « l’arrivée aux Antilles à des postes de responsabilités » (Bruneteaux – Pulvar), pour l’autre, « le transfert dans les départements d’Outre-Mer de fonctionnaires métropolitains et à l’inverse l’éloignement des jeunes antillais » (Ostan – Casimir). Là encore, il serait honnête et de bonne pédagogie de préciser que les jeunes migrants étaient de faible niveau scolaire et dénués de formation professionnelle, de sorte qu’ils ne pouvaient pas remplir les fonctions de cadres dont la collectivité avait besoin. D’autant plus qu’avec l’accroissement de la population de 56 000 habitants de 1962 à 1982 et la création d’une vingtaine de lycées et autres établissements scolaires, la toute récente UAG n’était pas en mesure de fournir des professeurs en nombre suffisant.
Fort-de-France, le 3 juillet 2022
Yves-Léopold Monthieux