— Par George Arnaud et Huguette Bellemare, Association Culture Egalité —
En France, l’ordonnance du 21 avril 1944 prise par le gouvernement provisoire du général de Gaulle à Alger stipule que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes » . Les femmes martiniquaises n’ont pas été en pointe, comme les femmes françaises, pour le droit de vote. Entre 1848 (abolition de l’esclavage) et 1945, la tradition des luttes féministes est moins forte qu’ailleurs mais réelle. Les femmes continuent à être actives et entreprenantes pour sortir de leurs conditions, comme elles l’ont été pendant la servitude. Elles ont toujours eu un rôle décisif dans les luttes sociales, comme dans toutes les confrontations sociales de par le monde et dans l’histoire.
En France, en 1848, la mobilisation des féministes est certaine. En Martinique la préoccupation est surtout le devenir économique et social des nouvelles libres. Les femmes sont très actives dans les campagnes électorales schoelchéristes, bissettistes, pécoulistes et dans la vie politique et sociale, de 1848 à 1852. Après le coup d’état du 2 décembre 1851 en France, le suffrage universel masculin est supprimé : c’est la mort programmée de toute vie politique. Les lois de la scolarisation en 1871 en Martinique, les lois laïques de 1881 en France, permettent la création du Pensionnat colonial (laïc) de jeunes filles. Une ouverture pour les femmes de la nouvelle élite. Les femmes continuent à être assujetties au rôle traditionnel – épouse et mère – mais elles acquièrent rapidement de l’importance dans l’éducation scolaire : les institutrices deviennent majoritaires et c’est la naissance d’une élite intellectuelle féminine. A leurs côtés, dans les milieux populaires, les femmes de marché, par exemple à Saint-Pierre, sont actives dans la vie sociale et politique.
Les premiers frémissements du féminisme en Martinique
Ils seront liés à la revendication du droit de vote pour les femmes. Dans la première moitié du XXe siècle, cette élite intellectuelle féminine perpétue, avec les sociétés de secours mutuels, les expériences des associations serviles.
– A Saint-Pierre, Irma Cécette, mutualiste dès la fin du XIXe siècle, se bat pour le féminisme.
– A Fort-de-France, en 1903, naissent « La société de la prévoyance des femmes » et « La Saint-Louis des dames » qui sont dirigées par des femmes.
– Plus tard, en mai 1919, des femmes soutiennent le programme électoral du député Lagrosillière qui réclame le droit de vote pour les femmes en récompense de leurs efforts pendant la guerre de1914.
– En 1925, pour leur 20e anniversaire, « Les dames de Tivoli » – Camille Fitte-Duval et Césaire Philémont – font une conférence fameuse sur le droit de vote des femmes.
– Le 31 mars 1931, en tant que franc-maçonne et membre de la loge intitulée « Émancipation féminine » , c’est Claude Carbet qui réclame, dans une conférence, le droit de vote pour les femmes.
– En 1931, au Congrès des femmes du monde colonial français, Paulette Nardal prend position pour le droit des votes des femmes au nom de l’UFCV (Union féminine civique et sociale) dont elle est membre.
C’est dans ce contexte de l’entre-deux guerres qu’un plus grand nombre de femmes antillaises intellectuelles et étudiantes en France rencontrent les évolutions qui ont lieu dans le monde. Les femmes votent dans certains états du Canada depuis le XIXe, en Angleterre et dans les colonies anglaises (dont celles des Caraïbes) ; depuis 1920, en Russie et dans plusieurs pays.
Les militantes martiniquaises réagissent très vite à l’annonce du décret de 1944.
– 20 janvier 1944, dans le projet de constitution française, le droit de vote des femmes est mentionné.
En Martinique, les réactions ne se font pas attendre. Dès le 11 juin 1944 c’est la création de l’Union des Femmes de la Martinique, soit six semaines après l’ordonnance. Il s’agit clairement de se battre pour ce droit de vote et pour que ce soient les forces nouvelles qui gagnent les élections.
– Dès juillet, les socialistes prennent position pour ce vote.
– Décembre 1944, création du « Rassemblement féminin » et du journal « La Femme dans la cité » avec pour principale animatrice Paule Nardal qui multiplie les comités dans les communes. C’est une course de vitesse avec les communistes.
– 25 mars 1945 : congrès de la jeunesse au Théâtre municipal avec Césaire ; intervention de femmes de l’UFM et de Maitre Bocaly, la première femme avocate de la Martinique. Les femmes martiniquaises votent le 27 mai 1945.
– Les femmes sont, par exemple à Fort-de-France, 9 000 inscrites, les hommes 8 700. Elles sont donc plus nombreuses à voter et il en est ainsi dans tout le pays. Mais leur participation est moindre que celle des hommes.
– Dans les conseils municipaux, sur 533 élus, il y a 57 femmes mais aucune n’est élue maire et seulement 2 sont premières adjointes (à Sainte-Anne et au Morne-Rouge).
Quel constat ? Les choses ont-elles radicalement changé en 70 ans ? Bien peu, même si quelques femmes ont été élues dans certains scrutins, grâce à la loi sur la parité. Pour ce qui est des femmes maires, c’est un véritable désert. Aujourd’hui, le nombre de mairesses culmine à deux (Morne-Rouge et Basse-Pointe).
Et pourtant les femmes martiniquaises continuent à être des citoyennes très actives et très engagées pour l’évolution de la société martiniquaise.
George Arnaud et Huguette Bellemare, Association Culture Egalité